Introduction
Un peu d'histoire
Depuis la fin des années 60 et dès les années 70, la place des femmes dans la société occidentale et par conséquent dans la ville de Paris a radicalement changé.
En 1944, elles avaient déjà acquis le droit de vote et d'éligibilité, et depuis 1965 elles peuvent exercer une profession sans l'accord de leur mari. Les lois Neuwirth et Veil autorisent l'usage de contraception et l'avortement. Une loi de 1972 introduit le principe d'égalité salariale.
Ces nombreuses réformes reflètent le changement radical de la vision des femmes dans la deuxième moitié du XXe siècle. Elles permettent aux femmes d'avoir une réelle place dans la famille et dans le monde du travail, d'être indépendantes et autonomes.
« Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu – sa femme. »
Cette photographie, prise par l'AFP à la place de l'Etoile le 26 août 1970 à l'aube du Mouvement pour la Libération des Femmes (MLF), montre neuf manifestantes, dont Monique Wittig, Christine Delphy, Christiane Rochefort et Anne Zelensky, qui demandent une plus grande reconnaissance des femmes.
Elles sont habillées en pantalon et portent une couronne de fleurs pour rendre hommage à la femme du défunt soldat inconnu. Elles soulignent l'importance des femmes avec leur poster où on peut lire : « Un homme sur deux est une femme ».
Des hommes en uniforme de policier, représentant l'État patriarcal et l'ordre, tentent de les refouler, malgré les changements sociaux en faveur des femmes déjà en marche à l'époque.
La MLF est à l'origine de nombreuses réformes féministes dans les années 70, et organise de nombreuses manifestations pour celles-ci.
Malgré cela, les femmes occupent toujours la deuxième place dans la société, que ce soit dans la vie de tous les jours, dans les mentalités, ou dans l'art. Les musées, guides, parlent souvent des artistes hommes, mais rarement des artistes femmes ; et quand ils le font c'est pour souligner leur féminité, comme si elles étaient un groupe à part. Cela se voit d'autant plus dans le street art, ou art de rue, car c'est bien connu, les rues de la ville sont le domaine des hommes...
Accompagnez-nous la redécouverte d'un quartier à travers les yeux d'une artiste qui n'a pas attendu que les rues de Paris lui accordent une place pour s'imposer.
Miss. Tic, un artiste qui s'impose
Sur les murs de Paris des femmes sensuelles s’imposent. À côté d'elles, de petits aphorismes. Poésie et pochoirs. Qui en est l'auteur ? Encore un indice : ils sont très présents à la Butte-aux-Cailles et au XIème arrondissement, mais aussi à Montmartre ou au Marais. C’est Miss Tic !
Cette artiste de street art a débuté dans les années 80 après être rentrée des États-Unis et s’être inspirée des mouvements du street art américain. À son arrivé à Paris les murs étaient presque vierges et le street art était peu ou pas connu, et surtout dominé par des hommes.
Sa sensibilité particulière pour l'espace public, acquise grâce au théâtre de rue qu'elle pratiquait avant son départ, et son envie de s'exprimer en laissant une empreinte dans la ville de Paris l'ont amenée à sortir ses aérosols. Elle pose son premier pochoir en 1985, et depuis ses dessins iconiques ornent les murs de la capitale.
Son style très particulier et ses messages, à la fois comiques et profonds, ont amené Miss Tic à la reconnaissance nationale et même mondiale. Ses œuvres, d’abord confinées dans la capitale française, se trouvent aujourd’hui dans des dizaines de villes à travers la France, et dans des musées à l’étranger.
Cependant l’artiste souligne que la vie en tant qu’artiste femme dans le street art n’est pas facile. Dans ce milieu éminemment masculin, où on doit souvent escalader des bâtiments ou travailler de nuit, elle a dû se battre pour avoir sa place, et se bat encore pour la conserver.
Miss Tic, Artiste et poète
Elle se considère comme une artiste et une poète de rue, et souligne que la poésie ne se limite pas aux mots : ses messages sont, certes, poétiques, mais la poésie vient aussi des moments que créent ses œuvres.
Elles sont dans la rue, accessibles à tous, sur de beaux murs, dans des lieux de passage. C'est un art démocratique, en quelque sorte, puisque n'importe qui pourrait les voir, à n'importe quel moment de sa vie. Se crée alors, à chaque fois, un instant poétique nouveau, unique à chacun, et c'est cela que recherche Miss Tic.
Pourquoi des femmes?
L’important, pour Miss Tic, est son texte. Et elle a besoin de locutrices pour le soutenir. Elle a commencé par dessiner des autoportraits, mais a ensuite pris inspiration des femmes jeunes et belles des magazines et des publicités.
Elle les représente comme sensuelles et libérées. Elle ne se définit pas comme féministe mais comme femme qui vit sa condition de femme. Cela ne l’empêche pas d’aborder de différents sujets féministes, comme la violence conjugale, le porno, la prostitution et la liberté sexuelle des femmes.
Ses femmes sont provocatrices, dans tous les sens du terme. Elles provoquent des pensées, des souvenirs, des critiques, des réactions qu'on ne peut pas prédire. Elles nous provoquent aussi par leur sensualité, leur sexualité, leur érotisme, et par les inscriptions qui les accompagnent. Ce sont des femmes fatales, « proie[s] et prédatrice[s] », dont Miss Tic a la nostalgie. Des femmes qui s'amusent à « jouer et être jouée », à séduire, à provoquer des illusions.
Pour Miss Tic, la provocation est excitante, elle peut amener cette poussée d'adrénaline tant recherchée de nos jours. « Provoquer, c'est une prise de risque. Celui de s'exposer, d'être mal interprétée, de choquer, de faire face à l'adversité. Mais un artiste qui ne dérange rien est juste ennuyeux. »
D’où vient le nom Miss Tic?
Miss Tic choisit son nom en lisant une bande dessinée de Picsou, où apparaît une sorcière qui essaye par tous les moyens de dérober son « sou fétiche » au vieil avare, sans jamais y parvenir.
Cette sorcière s'appelle Miss Tick. Elle a des cheveux noirs comme la graffeuse, et, étant une sorcière, représente la femme perfide par excellence. En choisissant ce nom, Miss Tic revendique sa position de femme, sa féminité, en s'appropriant le terme péjoratif de sorcière, et tous les ensorcellements sensuels qui viennent avec, ainsi que son indépendance face aux hommes.
Une artiste polyvalente
La Miss est connue surtout pour ses pochoirs dans la rue, mais elle n’a pas fait que du street art pendant sa carrière. Elle a d’ailleurs commencé par réaliser des décors de théâtre avant de poser son tout premier pochoir. La rue n’était qu’un des supports qu’elle a utilisés pour créer, même si c’est celui qui l’a amenée à la notoriété.
C’est pour cela que Miss Tic se définit comme « artiste » et non comme artiste de rue.
Dès ses débuts, elle a travaillé avec des marques, comme Kenzo, Comme des garçons, Louis Vuitton, Clarins et Ucar. Elle a par exemple réalisé avec Clarins une des éditions limitées de leur eau dynamisante en 2012, et crée le logo de la compagnie Ucar.
Elle a aussi collaboré avec la Poste, qui a sorti une édition limitée de timbres à la Miss Tic pour la journée de la femme en 2011, et avec le dictionnaire Larousse en illustrant le petit Larousse de 2010.
Elle a été approchée par des cinéastes et auteurs, en créant l’affiche du film « La fille coupée en Deux » et la couverture du roman Tuer le père d’Amélie Nothomb.
Finalement, elle a publié un recueil de ses petites phrases poétiques en 2008 aux éditions Grasset, nommé « Je prête à rire mais je donne à penser ». C’est un grand pas pour Miss Tic, qui se sent validée dans sa poésie par cette publication.
Mais à présent, allons découvrir les pochoirs de Miss Tic dans le quartier qui l’a vue naître…