La salle à manger


Nous voici dans la salle à manger de la maison, là où se tenaient les dîners avec des invités importants ou des amis de Balzac. L'un d'entre eux, Théophile Gautier, nous en a laissé une description.  

« Balzac avait quitté la rue des Batailles pour les Jardies. Il alla ensuite demeurer à Passy. La maison qu'il habitait, située sur une pente abrupte, offrait une disposition architecturale assez singulière. On y entrait un peu comme le vin dans les bouteilles. Il fallait descendre trois étages pour arriver au premier. La porte d'entrée, du côté de la rue, s'ouvrait presque dans le toit, comme une mansarde. Nous y dînâmes une fois avec L. G. Ce fut un dîner étrange, composé d'après des recettes économiques inventées par Balzac. Sur notre prière expresse, la fameuse purée d'oignons, douée de tant de vertus hygiéniques et symboliques et dont Lassailly faillit crever, n'y figura point. Mais les vins étaient merveilleux ! Chaque bouteille avait son histoire, et Balzac la contait avec une éloquence, une verve, une conviction sans égales. Ce vin de Bordeaux avait fait trois fois le tour du monde ; ce château-neuf du pape remontait à des époques fabuleuses ; ce rhum venait d'un tonneau roulé plus d'un siècle par la mer, et qu'il avait fallu entamer à coups de hache, tant la croûte formée à l'entour par les coquillages, les madrépores et les varechs était épaisse. [...] Au dessert figuraient des poires d'une maturité, d'une grosseur, d'un fondant et d'un choix à honorer une table royale. Balzac en dévora cinq ou six dont l'eau ruisselait sur son menton. Il croyait que ces fruits lui étaient salutaires, et il les mangeait en telle quantité autant par hygiène que par friandise. Déjà, il ressentait les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. »

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Portrait de Léon Gozlan dans l'Amanach de littérature.

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Nadar, Théophil Gautier, 1856.

Cette pièce a reçu un jour un invité exceptionnel. Léon Gozlan, un autre ami de Balzac, était présent et raconte (dans Balzac intime) : « On était en plein été ; je crois même qu’on touchait à la fin de 1844. Oui, nous étions dans l’année 1844. Balzac habitait alors la fantastique maison de la rue Basse, à Passy. Par une de ces journées étouffantes comme on n’en traverse guère qu’à Paris dans le mois de septembre, car je n’en ai jamais connu d’aussi mortellement chaudes à la même époque au milieu du Sahara, je me décidai, sur une invitation de Balzac, à me rendre à cette jolie habitation de Passy, très jolie sans doute, mais collée comme une aire tremblante aux flancs périlleux d’une montagne. Rude ascension qui me fait palpiter et ruisseler les tempes rien qu’à la pensée de l’avoir tentée. Il y avait surtout à gravir, après la barrière, et tortueusement placée entre les hauts murs qui soutiennent la montagne de Passy, une ruelle d’une perpendicularité, d’une roideur, d’une fantaisie de contours, d’une difformité !… un vrai pèlerinage à accomplir.  […] Il était sept heures et demie environ quand j’entrai dans la salle à manger, celle que décorait, digne d’une galerie florentine ou vénitienne, son buste, chef-d’œuvre de David : un Titien peint au ciseau, un Van Dyck de marbre. Cette riante pièce, dont nous avons déjà parlé, donnait sur le jardin et communiquait avec son cabinet de travail. Balzac achevait de dîner : il avait à sa droite, près de lui, un rédacteur de la Presse, M. Robert, qui était venu lui demander la suite des Paysans que publiait alors ce journal, à sa gauche, madame X… [Très certainement Louise Breugniot], occupée à verser le café, et en face de lui un homme à figure bovine, large du front, bestiale du bas, solide, inquiétante, d’un caractère étrange : cheveux autrefois rouges assurément, aujourd’hui blancs-blonds ; regards autrefois bleus, aujourd’hui gris d’hiver. Ensemble complexe, rustique et subtil, d’une expression peu facile à définir d’un mot, d’un trait, du premier coup ; calme, cependant, mais calme à la manière redoutable des sphinx égyptiens. Il y a des griffes quelque part. […] En enfonçant les doigts dans une grosse pêche de Montreuil qu’il se disposait à porter à ses dents de sanglier, et en me désignant d’un coup d’œil satisfait le personnage qui m’était inconnu, Balzac me dit : « Je vous présente M. Vidocq. »  »
Balzac avait rencontré Vidocq chez le philanthrope Appert en 1834 et cela lui avait inspiré le personnage de Vautrin.

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Rastignac et Vautrin

La collection muséale

Aujourd'hui on retrouve dans cette pièce quelques objets appartenant à Balzac, notamment sa cafetière préférée qui avait été commandée pour lui en 1832 et qui porte ses initiales "HB". Honoré était un grand adepte du café et il le fait savoir:

« Le café tombe dans votre estomac [...] Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées ; la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique arrive avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent ; le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. »  Honoré de Balzac, Traité des excitants modernes

La collection conserve aussi la canne aux turquoises, faite en jonc, or, turquoise et perles, que Balzac acheta en 1835 chez le joaillier Lecointe à Paris. Après sa mort la canne fut offerte par la veuve de Balzac au docteur Naquart pour le remercier des soins prodigués à son mari. La famille de celui-ci la conserva pour finalement l'offrir au Musée Balzac.

On pourra aussi voire une statue de Balzac réalisée en 1837 par le sculpteur italien Alessandro Puttinati. Une curiosité: l'écrivain y est représenté en robe de moine, sa tenue de travail habituelle! 

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La salle à manger avec la stautue de Balzac par Alessandro Puttinati

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La Cafetière de Balzac marquée des initiales HB

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La  canne aux turquoises de Balzac

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Un manuscrit de Balzac

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