Madame Hanska et la fin de Balzac


Durant les années que Balzac passe rue Raynouard, un personnage de la « vraie vie » va peu à peu prendre plus de place que les personnages de la Comédie humaine qui partagent pourtant son existence jour et nuit : son amante qui deviendra sa femme, la polonaise, vivant en Ukraine, Évelyne Hanska.

La correspondance qu’il entretient avec Madame Hanska depuis 1832 est une source précieuse pour mieux connaître l'écrivain. Cette passion se serait peut-être éteinte si M. Hanski n’était décédé fin 1841. Honoré et Évelyne s'étaient rencontrés en 1833 et 1834 à Neufchâtel et à Genève, puis en 1835 à Vienne, mais Évelyne s'était lassée des manquements de Balzac à sa promesse de ne pas fréquenter d'autres femmes. Après plusieurs mois de résistance, elle accepta toutefois de le revoir à Saint-Pétersbourg, en 1843. 

Dans son bureau, Balzac conserve un portrait d'Évelyne et une reproduction de Verkhovnia, la propriété des Hanski. Lorsqu'il compose La Comédie Humaine, c'est en les contemplant, comme en témoigne sa lettre du 10 avril 1842 à Évelyne : « Faut-il donc vous répéter que depuis que j'ai eu votre cher portrait, je n'ai eu que lui sous les yeux en travaillant, et jamais personne n'est entré dans l'endroit où je travaille, à moins que la divine image ne fut retirée, et que depuis que j'ai vu Verkhovnia, mes yeux ont constamment embrassé ce paysage et vous ; en sorte que je n'ai pas ravaudé de phrase, cherché d'idée, ou trouvé de sujet, que ce ne soit dans vos yeux ou dans l'étang de Verkhovnia. À Passy, mon cabinet est tout tendu de velours rouge avec des cordons en soie noire, et vous ressortez sur ce fond riche, dans un cadre d'or sculpté comme une étoile que vous êtes.  »

La présence de Mme Hanska hante ainsi les murs de la maison de la rue Raynouard... et parfois de façon très concrète, comme le lui écrit Balzac le 28 janvier 1844 : « Vous avez fait le premier jour une seconde toilette, la robe était violette ! Vous ne savez pas, et je ne vous l'ai jamais dit ni écrit ; mais depuis ce jour, mon petit salon a été violet, j'ai aimé le violet, et il m'en reste une perse violette, une table couverte d'un drap violet et des torsades violettes qui sont des reliques pour moi ! »

Ils se retrouvent au printemps 1845 à Dresde et voyagent en France, aux Pays-bas, en Belgique, en Italie... En 1846, elle fait une fausse couche et perd la fille qu'elle attendait d'Honoré. Elle plonge dans le chagrin. La perspective du mariage qu'il espère tant s'éloigne et cela lui mine le moral et l'inspiration. Lorsqu'Évelyne accepte de venir à Paris début 1847 (elle sera logée rue Neuve-de-Berry), le bonheur revient à Balzac et il se met à écrire vingt à trente feuillets par jour, achevant La dernière incarnation de Vautrin et Le Cousin Pons.
Ils visitent la grande maison du 14 rue Fortunée (aujourd'hui rue Balzac) que l'écrivain a achetée en 1846 et dans laquelle il emménage au printemps 1847. Son grand rêve va enfin pouvoir se réaliser : habiter chez lui, avec la femme aimée (le 14 juillet 1846, il lui écrivait encore en parlant de la maison de la rue Raynouard : « L'espace me manque, j'étouffe ici. Le mobilier, qui est beau, se gâte et se perd.  »)
Malgré la fatigue et l'épuisement, Balzac se rend dans la propriété d'Évelyne à Verkhovnia en Ukraine fin 1847 et en 1848.

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Paul-Joseph-Victor Dargaud, Maison de Balzac.

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Wierzchownia Napoleon Orda, Maison de Balzac, gravure, 1860.

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Projet de la maison de Balzac.

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Projet de la maison de Balzac.

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Projet de la maison de Balzac.

Les deux amants se marient le 14 mars 1850 en Ukraine et s'installent en mai rue Fortunée. C'est son ami Gautier qui nous décrit l'ambiance et le décor de la nouvelle demeure de Balzac.

Ce qui donnait quelque vraisemblance nos plaisanteries, c'était la nouvelle demeure qu'habitait Balzac rue Fortunée dans le quartier Beaujon, moins peuplé alors qu'il ne l'est aujourd'hui. Il y occupait une petite mystérieuse qui avait abrité les fantaisies du fastueux financier. Du dehors, on apercevait au dessus du mur une sorte de coupole repoussée par le plafond cintré d'un boudoir et la peinture fraîche des volets fermés.  
Quand on pénétrait dans ce réduit, ce qui n’était pas facile, car le maître du logis se celait avec un soin extrême, on y découvrait mille détails de luxe et de confort en contradiction avec la pauvreté qu’il affectait. — Il nous reçut pourtant un jour, et nous pûmes voir une salle à manger revêtue de vieux chêne, avec une table, une cheminée, des buffets, des crédences et des chaises en bois sculpté à faire envie à Berruguette, à Cornejo Duque et à Verbruggen ; un salon de damas bouton d’or, à portes, à corniches, à plinthes et embrasures d’ébène ; une bibliothèque rangée dans des armoires incrustées d’écaille et de cuivre en style de Boule ; une salle de bain en brèche jaune, avec bas-reliefs de stuc ; un boudoir en dôme, dont les peintures anciennes avaient été restaurées par Edmond Hédouin ; une galerie éclairée de haut, que nous reconnûmes plus tard dans la collection du 
Cousin Pons. Théophile Gautier, Honoré de Balzac, 1859.  

Le rêve de sa vie s'est réalisé, mais les dernières semaines de Balzac ne sont pas pour autant remplies de bonheur. La loi russe prévoyant que Mme Hanska perdrait tous ses biens en cas de mariage avec un étranger, elle dut céder Verkhovnia à sa fille. Balzac lui-même est toujours accablé de dettes. Au lendemain de son mariage, une ophtalmie se déclare et le rend incapable d'écrire. Lorsqu'ils arrivent rue Fortunée après un terrible voyage au retour d'Ukraine, leur domestique est devenu fou et refuse de leur ouvrir. Ils doivent faire intervenir un serrurier.

Balzac, le corps usé par son travail et ses voyages récents, décède peu de temps après, le 18 août.

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