Deux cafés du boulevard


De nombreux personnages de La Comédie Humaine fréquentent les cafés, les restaurants et les théâtres de la capitale, dont ceux du boulevard du Temple qui verront leur vogue faiblir au profit du boulevard des Italiens à partir des années 1820.
Lieux de distraction et de plaisir, ces endroits sont aussi fréquentés par certains dans un but essentiel à leur promotion : se montrer en public. Ainsi, Splendeurs et misères des courtisanes s'ouvre sur une scène de bal masqué à l'Opéra en 1824 et sur la réapparition de Lucien de Rubempré qui a gravi des échelons dans la société. Dans Les Illusions perdues, Eugène de Rastignac, en pleine ascension sociale, invite ses amis dans les restaurants du Palais-Royal.

À cette époque où différents régimes politiques se succèdent à grande vitesse, les cafés ont une autre fonction particulière. L'abonnement à un journal classant vite son lecteur (le royaliste lit La Gazette de France ou La Quotidienne ; le libéral lit Les Débats ou Le Constitutionnel), on préfère souvent venir le lire au café pour ne pas afficher ouvertement ses opinions politiques.

Certains personnages de La Comédie humaine se rendent au café du Cadran Bleu (à l'angle de la rue Charlot et du boulevard du Temple, au n°27 actuel) ou au Café Turc (au n°29, occupé depuis par une annexe de la Bourse du travail). Plusieurs personnages balzaciens habitent le quartier : le cousin Pons, Élie Magus, Ferragus, Lucien de Rubempré, Esther Gobseck, le comte et la comtesse de Granville...
Dans Les employés, Balzac parle ainsi du personnage d'Elisabeth Saillard : « Le dimanche, après avoir cheminé quatre fois de la Place-Royale  à l'église Saint-Paul, car sa mère lui faisait pratiquer strictement les préceptes et les devoirs de la religion, son père et sa mère la conduisaient devant le café Turc, où ils s'asseyaient sur des chaises placées alors entre une barrière et le mur. Les Saillard se dépêchaient d'arriver les premiers afin d'être au bon endroit, et se divertissaient à voir passer le monde. À cette époque, le Jardin Turc était le rendez-vous des élégants et élégantes du Marais, du faubourg Saint-Antoine et lieux circonvoisins.  »

Le 28 juillet 1835, un attentat terrible a lieu en face du Café Turc. La machine infernale de Fieschi, destinée à éliminer Louis-Philippe pendant la revue de la Garde nationale, rate le roi mais tue et blesse des dizaines de femmes, d'hommes et d'enfants. Balzac évoque l'attentat dans Un début dans la vie:

Madame Clapart, enfin veuve, était tout aussi méconnaissable que son fils. Clapart, l'une des victimes de l'attentat de Fieschi, avait plus servi sa femme par sa mort que par toute sa vie. Naturellement, l'inoccupé, le flâneur Clapart s'était campé sur son boulevard du Temple à regarder sa légion passée en revue. La pauvre dévote avait donc été portée pour quinze cents francs de pension viagère dans la loi rendue à propos de cette machine infernale en faveur des victimes.  

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Eugène Lamy, "Attentat de Fieschi", Wikipedia

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La machine infernale de Fieschi aux Archives nationales

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La maison Travault au 50 Boulevard du Temple où Fieschi et ses complices avaient placé leur machine infernale, Paris, Bibliothèque nationale de France.

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Exécution de Giuseppe Fieschi, 1836, Paris, Bibliothèque nationale de France.

Madame Cibot, la logeuse du cousin Pons, est une ancienne vendeuse d'huîtres au Cadran Bleu. « Madame Cibot, ancienne belle écaillère, avait quitté son poste au Cadran-Bleu par amour pour Cibot, à l'âge de vingt-huit ans, après toutes les aventures qu'une belle écaillère rencontre sans les chercher. La beauté des femmes du peuple dure peu, surtout quand elles restent en espalier à la porte d'un restaurant. Les chauds rayons de la cuisine se projettent sur les traits qui durcissent, les restes de bouteilles bus en compagnie des garçons s'infiltrent dans le teint, et nulle fleur ne mûrit plus vite que celle d'une belle écaillère. Heureusement pour madame Cibot, le mariage légitime et la vie de concierge arrivèrent à temps pour la conserver ; elle demeura comme un modèle de Rubens, en gardant une beauté virile que ses rivales de la rue de Normandie calomniaient, en la qualifiant de grosse dondon. » (Le Cousin Pons)

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Mme Cibot et Fraisier

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