La tour d'ivoire d'Honoré


Pendant l'été 1819, alors que sa famille quitte la rue du Temple et s'installe à Villeparisis, Honoré déclare qu'il veut interrompre le droit (il a tout de même eu son baccalauréat en janvier) afin de se consacrer à l'écriture. Devant son obstination, ses parents lui accordent pour faire ses preuves deux années pendant lesquelles ils lui fourniront 1500 francs par an, offre généreuse qui représentait une part non négligeable de leurs revenus, alors qu'ils comptaient plutôt sur un prochain soutien financier de sa part. Ils conviennent avec lui de prétendre qu'il est parti à Albi chez un cousin notaire – ce qu'ils font croire même à sa grand-mère. Honoré emménage au troisième étage – et non cinquième, comme on l'a dit parfois – d'un immeuble de la rue de Lesdiguières, au numéro 9 d'alors, qui a disparu lors du percement du boulevard Henri IV. Il veille à ne pas trop se montrer dans le Marais – où des proches de la famille le reconnaîtraient – et ne sort pas avant la nuit. Il fait des promenades au cimetière du Père-Lachaise. C'est là qu'Eugène de Rastignac lance son célèbre défi à Paris après l'enterrement du père Goriot, et là que Balzac repose depuis 1850.

a41660917e935337b97de474c80a51d8bda699fa.jpg

Rue de la Cerisaie, 12, hôtel de Lesdiguières, 1865

Il fréquente assidûment la bibliothèque de l'Arsenal toute proche, multipliant les lectures et ignorant encore s'il sera philosophe, auteur dramatique, essayiste, romancier... Il travaille à un essai sur l'immortalité de l'âme et à un autre sur le génie poétique, en sachant cependant que le moyen le plus rapide de s'enrichir est – s'il réussit – d'écrire une pièce pour un théâtre de la capitale. À l'époque, le théâtre possède également un plus grand prestige que le roman, considéré comme un genre mineur.

Un extrait de La Peau de chagrin évoque le décor de la rue de Lesdiguières d'une façon plus romantique que réaliste: « Rien n’était plus horrible que cette mansarde aux murs jaunes et sales, qui sentait la misère et appelait son savant. La toiture s’y abaissait régulièrement et les tuiles disjointes laissaient voir le ciel. Il y avait place pour un lit, une table, quelques chaises, et sous l’angle aigu du toit je pouvais loger mon piano.  […] Je vécus dans ce sépulcre aérien  […], travaillant nuit et jour sans relâche, avec tant de plaisir, que l’étude me semblait être le plus beau thème, la plus heureuse solution de la vie humaine. Le calme et le silence nécessaires au savant ont je ne sais quoi de doux, d’enivrant comme l’amour. L’exercice de la pensée, la recherche des idées, les contemplations tranquilles de la science nous prodiguent d’ineffables délices, indescriptibles comme tout ce qui participe de l’intelligence, dont les phénomènes sont invisibles à nos sens extérieurs. » Honoré souffre de maux de dents et refuse de se faire soigner car, dit-il, « les loups n'ayant jamais recouru aux dentistes, les hommes devraient être comme des loups.  » Résultat, il possède dès sa jeunesse une mauvaise dentition.

Un extrait de la lettre suivante qu'il écrit à sa chère sœur Laure vers septembre 1819 donne une idée de son tempérament et de ses ambitions (y compris politiques) : « Je commence à passer assez gentiment les nuits, mais le froid me pipe (c'est un mot de papa) et je ferai l'acquisition d'un vieux fauteuil de bureau qui me garantira au moins les côtés et le dos du froid et mon pauvre derrière. Ne dis rien à ma chère bonne mère des travaux nocturnes et ne m'en parle pas non plus, je suis décidé, dussé-je crever,  [à]  venir à bout de Cromwell, et  [à]  finir quelque chose avant que maman ne me vienne demander compte de mon temps. Je suis plus que jamais engoué de ma carrière, par une foule de raisons, dont je te dirai quelques mots. Notre révolution n'est pas terminé et de la manière dont les choses s'agitent je prévois des orages. Le système représentatif exige de grands talents, et la multitude électorale ne se laisse pas attraper. Je remarque que les littérateurs sont les gens que l'on recherche le plus volontiers dans les crises politiques, parce qu'on sait qu'ils réunissent à la science et aux connaissances l'esprit d'observation et qu'ils savent le coeur humain. Ainsi, si je suis un gaillard (c'est ce que nous ne savons pas encore), je puis avoir encore autre chose que la gloire littéraire  […]. » 

Malheureusement, sa tragédie sur Cromwell ne plaît à personne, excepté à quelques proches. Les Balzac vont jusqu'à la faire lire par un académicien, Andrieux, qui estime que « l'auteur doit faire quoi que ce soit, excepté de la littérature.  » Honoré estime simplement, lui, que la tragédie n'est pas sa voie, et qu'il lui faut s'attaquer au roman. Dans sa biographie, Roger Pierrot montre que Balzac n'était pas fait pour les vers et la poésie. Son Cromwell est estimable par sa composition, mais faible par sa versification.
Le bail de la rue Lesdiguières est résilié en janvier 1821. Laure s'étant mariée en mai 1820 à M. Surville, une chambre s'est libérée dans la maison familiale de Villeparisis. C'est là que vit Honoré en 1821-22, et au pied-à-terre parisien du 17 rue Portefoin.

d5c129c2d4c7201ccb6b87161a0670e4541bc64e.jpg

Paul Guérin (1783-1855), Charles Nodier, 1844, Chateau de Versailles, Wikimedia

Quelques années plus tard Balzac reviendra fréquenter l'Arsenal pour participer aux réunions du salon littéraire « le Cénacle » tenu par Charles Nodier, le père du romantisme français et conservateur, depuis 1824, de la Bibliothèque de l 'Arsenal.

Plan

Prochaines étapes

logo.png