La Gaîté


Comme l’annonce si bien son nom, le quartier de la Gaîté est marqué par un esprit de fête et de divertissement, avec ses guinguettes, ses théâtres, ses bals et ses cabarets, hauts lieux du jazz durant les années folles. Cette musique d’origine noire américaine semble être la prolongation naturelle des influences de l’art nègre sur les artistes d’avant-garde tels que Brancusi, Modigliani, Man Ray... Car au début des années 1920, le jazz inspire les artistes de Montparnasse comme Fernand Léger, Piet Mondrian et Henri Matisse, avant de prendre une dimension populaire. Désormais, tout Paris se passionne pour le jazz et la danse afro-américaine. Dès 1925, Joséphine Baker, simplement vêtue d’un pagne de bananes, vient danser le charleston à Paris et, en 1931, séduit le public en chantant « j’ai deux amours, mon pays et Paris ». Une de ses revues se tient notamment au Bal nègre, 33 rue Blomet, un bar créé en 1924 derrière Montparnasse. Robert Desnos, André Masson, Juan Miro y passent régulièrement, comme le tout Montparnasse de Kiki à Foujita. Au Bal nègre, on croise aussi le légendaire champion du monde de boxe Al Brown, que Cocteau, dont il était l’amant, appelait « La Libellule noire ». Brown avait financé la première mission Dakar-Djibouti de Marcel Griaule et Michel Leiris, dans le but de mieux faire connaître la culture africaine. Mais ce fut Joséphine Baker (amie du sous-directeur du musée ethnographique du Trocadéro, Georges-Henri Rivière, collaborateur de Griaule et de Leiris), qui débuta sa carrière de chanteuse et de danseuse au Bal nègre, avant de se produire aux Folies Bergères, au Théâtre des Champs-Élysées ou encore bien plus tard, à Bobino. 

Le théâtre Bobino : 20, rue de la Gaîté (l'entrée du théâtre se situe en contrebas de la rue).

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Enseigne du théâtre Bobino depuis la rue.
© Blue Lion (2012)

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Entrée du théâtre Bobino, en contrebas de la rue de la Gaîté.
© Blue Lion (2012)

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Le théâtre du Luxembourg au début du XIXe siècle,
simple baraque de bois du jardin du Luxembourg où se produisait alors le clown Bobino.
Gravure extraite de Paris à travers les siècles par Henri Gourdon de Genouillac
(v.4, Paris, F. Roy, 1881).

Aujourd’hui, la façade années 1970 ne reflète guère l’esprit fabuleux qui régnait dans cette salle de spectacle construite d’abord en 1873. « Bobino » est le nom d’un clown que les gens du quartier admiraient dans la « baraque à Bobino », puis au théâtre du Luxembourg au début du XIXe siècle. Le premier nom de cette guinguette bâtie en bois fut « Les folies Bobino ». En 1918, elle se transforme en bâtiment plus solide avant d’accueillir des comédiens populaires comme Lucienne Boyer, Félix Mayol, Damia ou Fernandel. Ce dernier fut non seulement chanteur, mais également durant les années 1930 l'un des plus grands acteurs du cinéma français. Réalisateur, il avait fondé une société de production avec Jean Gabin. 

Après la deuxième guerre mondiale, les chanteurs George Brassens, Léo Ferré, Juliette Gréco et Barbara y attirèrent les foules.
En 1975, après cinquante ans de carrière, Joséphine Baker, qui avait reçu la légion d’honneur des mains du Général de Gaulle pour ses activités de résistante durant la seconde guerre mondiale, présente sa dernière revue à Bobino. Le lendemain, elle est terrassée par une hémorragie cérébrale. Ses funérailles furent célébrées à l’église de la Madeleine, mais c’est au cimetière de Monaco qu’elle sera enterrée. 

Continuez jusqu’au bout de la rue, sur votre droite, et tournez à droite sur le boulevard Edgar Quinet. Juste après l’angle du boulevard, au n°11, se trouve la boutique d'Édouard Adam, marchand de couleurs.

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la boutique d’Édouard Adam.

C’est le mythe de tous les peintres parisiens : en six mois de recherche, Édouard Adam, ce grand marchand de couleurs, a développé le médium qui permit au peintre du monochrome Yves Klein de fixer son fameux International Klein Blue (IKB) sur la toile sans modifier l’aspect original de la couleur (ses peintures sont visibles au Centre Pompidou). 

Adam vendait un vernis à Giacometti pour protéger ses sculptures connues pour leur minceur inquiétante, à la limite du visible. Un jour, alors qu’Adam lui apporte le vernis dans son atelier, le sculpteur lui demande de poser pour un dessin. Adam accepte et repart avec le dessin, puis le montre à sa famille qui ne le trouve guère ressemblant ; du coup, il le déchire… Quel regret ce fut pour lui quelques années plus tard !

En 1960, les artistes du nouveau réalisme Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, admirés pour la réalisation de la fontaine Stravinsky dans le quartier des Halles, furent des habitués de la boutique.

Pierre Soulages, le peintre du noir, conseille à Adam en 1949 de concevoir une section beaux-arts dans sa boutique. En échange de ses conseils, le chimiste lui mélange le bon médium pour fixer ses couleurs. Aujourd’hui, la boutique du marchand de couleurs des plus grands artistes de Montparnasse est devenue une institution incontournable! 

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