Rue Campagne Première


31 bis, rue Campagne Première 

Cette magnifique maison d’atelier d’artistes, toute en céramiques, fut construite entre 1910-1912 par André Arfvidson. Il propose ici une architecture décorative dans un style fin XIXe siècle avec une façade en terre cuite qui a la grâce de l’art nouveau. Les grandes baies vitrées, cependant, annoncent le mouvement moderne des architectes du Bauhaus. Man Ray, photographe de mode américain, y installe son atelier lorsqu’il arrive de New York en 1921, pour prendre en photo la collection de haute couture du créateur d’avant-garde Paul Poiret. L’originalité de Man Ray le mène rapidement au centre des cercles artistiques du dadaïsme et du surréalisme. Dans les clubs de Montparnasse, il rencontre le modèle, chanteuse, danseuse Kiki de Montparnasse, qui deviendra sa compagne et son modèle favoris. Ses formes harmonieuses deviennent emblématiques dans Le violon d’Ingres, tandis que son visage pâle contraste avec le masque africain dans Noire et Blanche. En 1928, Man Ray tourne avec elle un court-métrage, L’étoile de mer, adapté d’un poème de Robert Desnos. 

Kiki fit des ravages à Montparnasse, lorsqu’elle travaillait dans le bar très fréquenté par les artistes Le Jockey (jadis à l’angle de la rue Campagne première et du boulevard Montparnasse) en 1923. Avant de poser pour Man Ray, elle fut le modèle préféré de Picasso, Modigliani, Derain, Soutine, un de ses premiers amis fidèles, et de Foujita, le dernier et, semble-t-il, le seul ami présent lors de son enterrement en 1953. À la fin de sa vie, elle était amoindrie par l’alcool et la drogue qui circulaient dans les cabarets de Montparnasse.

Man Ray, qui s’était déjà fait un nom comme photographe de mode pour Vogue, collabore dès son arrivée à Montparnasse avec le groupe des dadaïstes (Marcel Duchamp, Tristan Tzara, Francis Picabia) et par la suite avec les surréalistes (André Breton, Paul Eluard, Max Ernst, Louis Aragon). C’est dans son atelier de la rue Campagne première qu'il invente, en 1922, la "rayographie". Cette technique photographique se passe de l’appareil photo en plaçant l’objet directement sur le papier photo et devant une source lumineuse. Si la lumière touche le papier, il noircit, si elle touche l’objet, le papier sous-jacent reste blanc. Ainsi se créent des contrastes à la fois nets et mystérieux. 

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Man Ray, « Noir et Blanche », 1926.

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Man Ray,
Le violon d'Ingres, 1924.
© Man Ray Trust / Adagp, Paris

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Man Ray,
Les Champs délicieux, 1922,
"4e radiographie".

Des années après, dans ce même immeuble, habita le critique d’art et fondateur du groupe des Nouveaux réalistes Pierre Restany. Destin ou hasard ? Car ce mouvement artistique, créé en 1960, se réfère au dadaïsme et s’approprie à sa façon des objets du quotidien, et surtout des objets industriels, afin de leur donner une nouvelle vie « plus humaine ». Restany est un des premiers à soutenir l’inventeur du monochrome, Yves Klein, alors que le monde artistique parisien le considère comme fou. Parmi les artistes du nouveau réalisme, on découvre : Arman, Spoerri, Niki de Saint-Phalle, Tinguely, Dufrêne, Raysse, Hains, Villglé, Christo.  

Dans le même immeuble, habitait Jean-Pierre Raynaud, artiste contemporain, dont vous pouvez trouver le fameux pot de fleurs doré surdimensionné sur la terrasse du 6e étage du Centre Pompidou. Il est également connu pour son travail avec le carrelage en céramique blanc. N’avez-vous pas entendu parler de la maison qu’il s’est fait construire à Saint-Cloud en 1969, entièrement carrelée de blanc du dedans au-dehors? Trente ans après, il décide de la détruire et d’exposer les morceaux dans des conteneurs au musée d’art contemporain de Bordeaux. 

Hôtel Istria : 29, rue Campagne première 

Cet hôtel a vu passer les personnalités les plus originales, dont le poète allemand Rainer Maria Rilke, de nombreux artistes dadaïstes comme Marcel Duchamp, Tristan Tzara, Francis Picabia, Man Ray, le peintre franco-polonais Moïse Kiesling, le compositeur Erik Satie, le poète russe Vladimir Maïakovski, la chanteuse, danseuse et modèle Kiki de Montparnasse, le poète surréaliste Louis Aragon et sa femme Elsa Triolet. Ce lieu romantique avait inspiré un des poèmes du recueil Il ne m’est Paris que d’Elsa (1964) de Louis Aragon : 

« Ne s’éteint que ce qui brilla…
Lorsque tu descendais de l’hôtel Istria
Tout était différent Rue Campagne Première
En mil neuf cent vingt neuf, vers l’heure de midi »

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Hôtel Istria,
29, rue Campagne Première
© Blue Lion (2012)

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Man Ray,
Portrait de Louis Aragon, 1930.

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Anonyme,
Portrait d'Elsa Triolet, 1925.

17, rue Campagne Première

En avançant jusqu’au numéro 17 de la rue, vous découvrez un petit passage avec des ateliers d’artistes : la cité Taberlet ou la rue sans nom, dont les premiers ateliers furent construits pour l’Exposition universelle de 1889. L’intimité de ce lieu avait jadis attiré Rainer Maria Rilke, le peintre fauve Othon Friesz et le surréaliste de Chirico. L’enchaînement des maisonnettes individuelles et originales donne une belle idée de l’atmosphère qui régnait dans ce quartier à l’époque. 

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Cité Taberlet
© Blue Lion (2012)

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Cité Taberlet
© Blue Lion (2012)

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Cité Taberlet
© Blue Lion (2012)

Revenez sur vos pas au 14, rue Campagne Première

Durant les années 1958-1962, Yves Klein, peintre charismatique et inventeur de la première peinture monochrome bleue avait son appartement dans cet immeuble. On le voyait traverser la rue en kimono pour rejoindre son atelier du numéro 9, car Klein était un adepte du Japon et pratiquait le judo en professionnel. D’une grande originalité, Klein avait créé les Anthropométries, des corps de femmes imbibés de bleu puis imprimés sur une toile, afin qu’il ne reste que la trace de l’instant de leur passage. Il avait aussi fait scandale en jetant une brique d’or dans la Seine, ou encore en exposant « le vide » à la galerie Iris Clert en 1958. Inspiré par le bouddhisme zen, Yves Klein a, lors d’une performance, réalisé un saut dans le vide. Il ne reste de ce saut qu’une photo jaunie parue dans la presse. Dans un article publié dans la revue Art Press, François Albéra suggère que le cinéaste Jean-Luc Godard aurait choisi cette rue pour la scène finale de son film A Bout de souffle en référence à Yves Klein.  Un nouvel « espace artistique » aurait été ainsi ouvert par Yves Klein avec son fameux saut dans le vide de 1960. Dans le film culte du cinéma français tourné la même année, le héros incarné par Jean-Paul Belmondo est abattu par la police et meurt précisément au pied de l’immeuble où habita Yves Klein, la dernière scène ayant été tournée au 3e étage du numéro 11. 

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14, rue Campagne Première,
où vécut le peintre Yves Klein.
© Blue Lion (2012)

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John Kender, Harry Shunk et Yves Klein
Saut dans le vide,
photomontage réalisé le 19 octobre 1960
au 3, rue Gentil-Bernard à Fontenay-aux-Roses
(New-York, Metropolitan Museum).

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La mort de Michel Poiccard
rue Campagne Première,
scène finale d'A bout de souffle,
film de Jean-Luc Godard,
1960.

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