L'Hôtel de Soubise


Nous sommes maintenant face au plus grand hôtel du Marais... Et nous pouvons voir combien notre progression nous a menés vers des bâtiments de plus en plus ambitieux, par la taille comme par le propos.

Nous sommes ici aux limites ouest du Marais, et nous atteignons en même temps ses limites temporelles... Car après ce splendide hôtel, la « mode » délaisse ce quartier au profit de l’actuel VIIe arrondissement (avec la rue Saint-Dominique), du quartier Saint-Honoré, ou encore de l’Ile Saint-Louis.

Nous nous trouvons donc face à un vaste corps de logis, marqué par un avant-corps central; il se développe sur deux niveaux, un rez-de-chaussée et un premier étage. La façade est rythmée par l’alternance de baies cintrées au rez-de-chaussée et de fenêtres à la française au premier étage. Elles sont sobrement ornées d’un claveau central en volute. Des colonnes jumelées d’ordre composite sont surmontées d’un entablement, comme dans les architectures religieuses. C’est dire l’exigence des propriétaires! Une corniche saillante à modillons le surmonte, tout en soutenant les piédestaux de statues, de part et d’autre du corps de logis central. Ces rondes bosses de Robert Le Lorrain illustrent les quatre saisons, comme de coutume en ces hôtels particuliers. Elles transmettent ici une impression de calme et de majesté. A nouveau, un entablement, une corniche et des colonnes jumelées, cette fois d’ordre corinthien, ornent le deuxième niveau du corps de logis central, lui-même surmonté d’un fronton triangulaire. Des statues en acrotère, à la manière des temples grecs, expriment la Puissance et La Magnificence. Quelle audace! Les commanditaires souhaitaient montrer là la prépondérance de leur famille. On sait en effet qu’à Versailles, les Rohan, puis les Rohan-Soubise, ont œuvré, voire intrigué, pour obtenir le statut de prince, venant dans le rang juste après les Princes de sang, et avant les ducs et autres pairs du Royaume. 

Les toits en pavillon sont coiffés d’un faîtage, et de quatre pots à feu.

De part et d’autre du bâtiment, un monumental péristyle enserre une vaste cour, lieu de parade et de circulation des carrosses. L’architecte de ces deux hôtels est Pierre-Alexis Delamair, assisté puis remplacé pour la décoration intérieure par Germain Boffrand. Ce style tout classique est typique de la fin du règne de Louis XIV; en revanche, à l’intérieur, le décor est de style rocaille.

Sur le côté gauche se trouve l’entrée originelle de l’hôtel avant son remaniement par Delamair. 

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Portail d'entrée du vieil hôtel de Clisson,
rue des Archives.

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Les armes de la Maison de Guise,
tympan du portail de l'ancien hôtel de Clisson.

Côté rue des Archives, on aperçoit les tourelles du portail d’entrée du vieil Hôtel de Clisson. Comme nous l’avons vu, cette famille, dont est issu ce brillant connétable de Charles VI, Olivier, est aussi apparentée aux Rohan... L'hôtel passa ensuite dans les mains de la prestigieuse famille de Guise, dont il ne reste plus qu’une petite partie de la chapelle. Nicolò dell’Abbate, et Le Primatice l’avaient décorée à fresque. On peut encore voir les armes des Guise dans le tympan du portail. En ce lieu est pensée et voulue la Saint-Barthélémy puisque les assemblées de La Ligue, « la Sainte Union », s’y tiennent. Catherine de Médicis s’est certainement rendue ici afin de négocier avec ce parti ultra-catholique. Sans héritier direct, cette famille vend la demeure au tout début du XVIIIe siècle.

Le Maréchal Charles de Soubise, fils de François de Rohan, habite cet hôtel et le fait profondément remanier. C’est un intime de Louis XV, avec qui il partage quelques années d’enfance; il est, ainsi que le veut l’usage dans l’aristocratie, destiné à une carrière militaire dont il franchit rapidement les échelons. Il devient aussi un protégé de Madame de Pompadour et participe au fameux « Conseil d’en-haut » où sont prises les décisions d’importance concernant le Royaume. Mais son souvenir, malgré tout, reste lié à quelques déconvenues militaires, pendant la guerre de sept ans qui opposa la France à l’Autriche… De nombreuses chansons et pamphlets (réunis dans un recueil ironiquement intitulé La Soubisade) lui taillent une solide réputation d’incapable et il aurait eu, dit-on, ce mot malheureux pendant la Bataille de Rossbach en 1757: «Mais où est donc mon armée? J’étais sûr de l’avoir laissée ici!» Bien évidemment le peuple profite largement de ce type d'anecdote pour le tourner en ridicule, mais ce sont aussi ces accumulations-là qui seront le ferment de la Révolution...

C’est pendant la Révolution que l’on regroupe toutes les archives en ce lieu.

Ici s’achève notre visite, avec ce bel hôtel qui montre magnifiquement la vocation de ce quartier : manifester dans la pierre le statut de ses habitants. Le départ de Louis XIV à Versailles en 1682 marque le lent déclin du quartier du Marais. Ainsi progressivement abandonnés, couvents et hôtels particuliers disparaissent ou changent d’affectation. A partir des années 1840, les ateliers, commerces et industries se multiplient dans les immeubles et hôtels, envahissant les cours et les jardins de leurs baraquements dans des conditions souvent insalubres. En dehors des dommages causés par cette occupation abusive, tels que la surélévation de certains bâtiments, la modification des distributions intérieures, la disparition des décors, la détérioration des cours et des jardins, des plans de sécurité sanitaire furent à l’origine également  de nombreuses destructions (notamment dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, au début du XXe siècle). Toutefois, contrairement au reste de Paris, le Marais échappera aux restructurations d’Haussmann, et conserve  aujourd’hui encore  en grande partie le tracé original de ses rues.  Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que le quartier retrouve enfin une belle réputation. En effet, ému par l’état de délabrement du Marais,  un mouvement d’opinion s’élève dans les années 1960. Il conduira au vote en 1962 de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés, c'est-à-dire présentant un « caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles bâtis ou non ». En 1964, le conseil municipal de Paris créé le secteur sauvegardé du Marais, engageant la réhabilitation et la restauration de l’essentiel du domaine bâti du quartier. Aujourd’hui le Marais constitue une ville d'art à l’intérieur de la ville, où de nombreux artistes, hommes politiques, et industriels fortunés, séduits par la riche histoire et le charme du quartier, ont choisis de s’installer. Dans ce quartier à la mode, le prix au mètre carré atteint désormais des sommets…

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