L'Hôtel de Sully
La Rue Saint-Antoine
La rue Saint-Antoine est un axe Est-Ouest important qui a connu un grand essor avec l’enceinte de Charles V. Ici se sont déroulées quelques unes des fameuses « Entrées Royales » ; le Roi, devant son peuple réuni, entrait dans sa ville par la Porte Saint-Antoine, remontait la rue jusqu’à la cathédrale Notre-Dame, empruntait ensuite l’actuelle rue François Miron, puis poursuivait jusqu’au Louvre. Le 26 août 1660, Louis XIV continua la tradition des entrées royales avec un cortège triomphal en compagnie de sa jeune épouse Marie-Thérèse d'Espagne.
Sur votre chemin, vous pouvez admirer la seule église baroque de Paris, Saint Paul-Saint-Louis, paroisse de tout ce quartier, où le célèbre Père Lachaise prêchait... Cette église abrite entre autres la Vierge de douleur de Germain Pilon et Le Christ au jardin des Oliviers d’Eugène Delacroix.
L'Hôtel de Sully
Ce bel hôtel en pierre de taille constitue un exemple parfait de l’hôtel particulier en ses grandes heures!
Tout d’abord son nom nous évoque une époque de grande prospérité pour la France. Maximilien de Béthune, duc de Sully, fut probablement l’un des « premiers ministres » les plus efficaces que la France ait jamais connu. Il sut redresser l’économie et les finances du Royaume qui étaient au plus bas après les Guerres de Religion. Il mena une politique d’assèchement des zones marécageuses qui permit de faire du Royaume un vaste territoire agricole, et instaura également une longue période de paix grâce à l’Édit de Nantes qu’il inspira au roi Henri IV. Le duc de Sully n'était pas seulement le ministre du Roi, mais aussi son ami, sûr et fidèle: c’est d’ailleurs en se rendant chez lui à l'Arsenal qu'Henri IV trouva la mort, rue de la Ferronnerie.
Entrons dans la cour du bâtiment. Quel bel exemple, là encore, des règles d’architecture que l’on respectait à la lettre! C’est à Jean Androuet du Cerceau (dernier représentant de la fameuse dynastie d’architectes et de dessinateurs) que l’on doit les dessins et plans de l’hôtel, tandis que l’entrepreneur fut Jean Notin.
Un contrôleur des finances, Mesme Gallet, membre de la noblesse de robe, commande ce vaste hôtel dès 1624. Il est intéressant de rappeler le contexte des objectifs de cette «nouvelle» noblesse: de riches bourgeois achètent au Roi des charges, leur permettant d’exercer un pouvoir administratif. Ils sont donc anoblis pour servir l’État. Tandis que la noblesse d’Épée dispose de châteaux en province, lorsqu’elle quitte temporairement la Cour à la belle saison, la noblesse de robe doit résider à proximité du centre urbain où s’exerce le pouvoir royal. Le «Marais» offre alors de nombreux terrains vierges et rectilignes, correspondant au goût du jour. Ici la joie de la symétrie contraste avec les petites rues sinueuses du Paris médiéval! Et puis l’air y est réputé plus pur.
Mais Mesme Gallet ne contrôle pas très bien ses propres finances... Il se trouve bientôt ruiné par le jeu et revend l’hôtel inachevé en 1628 au seigneur de Sarcelles, Roland de Neufbourg. Son fils revendra la demeure à Sully.
En 1634, le Duc de Sully – qui survit à Henri IV, mort en 1610 - acquiert l’hôtel, le fait aménager et s’y installe avec sa dernière épouse, Rachel de Cochefilet, dont il aura dix enfants (probablement pas tous de lui ! Il a à cette époque 74 ans...). D'après le chroniqueur mondain Tallémant de Réaux, il lui aurait enjoint ceci : « Madame, voici votre pension : un tiers pour la maison, un tiers pour les enfants et un tiers pour vous et vos amants, mais de grâce, que je ne les rencontre pas dans l’escalier! »
Son petit fils Maxime occupera aussi la demeure et se mariera avec Charlotte Séguier, fille du célèbre Chancelier dont le Louvre conserve l'important portrait, peint par Le Brun.
Le plan de cet hôtel est typique de l’hôtel particulier à la française : en U, avec au bout des ailes deux beaux pavillons sur rue (datant de l'époque de Sully). L’aile droite servait d’écurie et de remise à carrosses tandis que l’aile gauche était réservée au garde-manger et aux cuisines. Le corps de logis central, ainsi préservé des odeurs gênantes, abritait les appartements des maîtres des lieux.
Ici, nous avons cependant une exception à la règle: l’appartement du Maître occupait l’étage noble, car la pièce principale se partage en deux, entre antichambre pour faire patienter les visiteurs et pièce de réception proprement dite. La chambre de la Maîtresse occupait le rez-de-chaussée, et une petite partie de l’aile droite. Cette disposition pourrait être liée aux visites que recevait la Duchesse... Mais rien ne le prouve.
Le bâtiment présente une élévation sur trois niveaux, et cinq travées par côté: le rez-de-chaussée est entresolé, et les hautes baies sont ornées de mascarons inscrits dans des tympans curvilignes. Le portail encadré par des consoles à volutes est décoré d’une lingerie de pierre. Le second niveau lui répond avec des baies à tympans triangulaires cette fois, précédées aussi par des mascarons. Cet étage noble porte en son centre deux niches abritant de très beaux hauts-reliefs, illustrant à gauche une allégorie de l’Automne, et à droite celle de l'Hiver (représenté conventionnellement par la figure du vieillard). En traversant le bâtiment et en se plaçant du côté jardin, nous retrouverons la suite du programme : Cérès pour l’Été, et Flore pour le Printemps. Il est fréquent de retrouver en ces hôtels ces allégories des saisons, qui symbolisaient à la fois la pérennité de la demeure au fil du temps, ainsi que la volonté d’ordonner, de dompter la nature. Nous découvrirons un décor similaire en nous rendant à l'hôtel Carnavalet, quoique plus ancien.
Une corniche à modillons annonce le dernier niveau, inscrit dans les combles. Les fenêtres en chien assis reprennent le tympan curviligne du rez-de-chaussée, créant ainsi une symétrie, mais pas de monotonie !
Les deux ailes latérales portent elles aussi un programme sculptural en quatre parties, mais cette fois il s'agit des quatre éléments. Cela donne une impression de stabilité et de régularité que l’on va retrouver tout au long du classicisme. L’Air et le Feu ornent le côté gauche, la Terre et l’Eau sont à droite. Ces hauts-reliefs rappellent une fois encore ceux de l’hôtel Carnavalet, attribués à Jean Goujon, réalisés environ un siècle auparavant. Le style un peu flottant et la position de déséquilibre sont un clin d’œil au maniérisme. La décoration très abondante, les nombreux mascarons, feuillages et lingeries de pierre rappellent le foisonnement baroque. Pourtant, la régularité et la symétrie de l’édifice sont toutes classiques. Cet hôtel se situe donc à la lisière des registres baroque et classique.
Par le portail central, passons du côté jardin. Et quel jardin!
Admirons la façade de ce côté dévolu à l’abondance et l’agrément, où figurent les statues des belles saisons. Du côté gauche on note la présence d’un mur renard (c'est à dire factice), à arcatures aveugles. A droite l’aile en retour d’équerre fut construite pour la seconde duchesse de Sully, Charlotte Séguier, par François Le Vau, à la fin du XVIIe siècle.
Une large terrasse à balustrade ouvre sur le jardin à la française, avec, au fond, «le petit Sully», c’est-à-dire la seule orangerie à cette époque construite à Paris. Nous sommes à la pointe de la mode et du raffinement. Là encore une riche décoration vient orner la façade symétrique. La toiture est surmontée d’un faîtage de plomb, d’époque.
Sur le côté droit du jardin, en descendant de la terrasse, nous pouvons voir des éléments sculptés qui sont en fait des «brouillons de pierre» d’une école d’architecture.
Avançons au fond du jardin en passant par le côté droit: nous nous trouvons sous l’entrée du n° 7, place des Vosges.