L'Hôtel de Beauvais


Situé sur l’axe historique des Entrées Royales, aujourd’hui dans la calme rue François Miron (qui fut sous la royauté d’Henri IV le Prévôt des Marchands), mais auparavant prolongement de la rue Saint-Antoine, cet hôtel magnifique est un exemple très réussi de modèle dit « sur le devant ».

Il nous rappelle le souvenir d’une figure plutôt surprenante, celle de Catherine Bellier, qui après son mariage avec le Baron Pierre de Beauvais, substitut du procureur à la Cour, prendra le nom de Catherine de Beauvais. Cette femme revêt une importance particulière dans la lignée des maîtresses royales, puisque à la demande d’Anne d’Autriche, dont elle est la dame de Chambre, elle se voit confier l’honneur et la charge de déniaiser le jeune dauphin Louis – futur Louis XIV - alors âgé de 14 ans (elle-même en avait 38).

Écoutons celui qu'on identifie comme étant Jean de La Fontaine décrivant un peu plus tard la baronne dans L’innocence persécutée (ouvrage anonyme et non daté consacré au procès de Nicolas Fouquet):

« Celle-ci est vieille, petite, laide, n’a qu’un œil, est grasse et toute ronde; et pourtant, l’on tient pour certain que c’est elle qui a eu la virginité du Roi alors qu’il était tout jeune; une fois qu’il sortait du bain, elle lui donna sa première leçon d’amour; aussi quand le Roi la voit maintenant, il ne peut s’empêcher de rire [...]»

Pour ce service, elle reçoit une pension mensuelle de 2000 livres, et il semble que cette somme ait pu jouer dans la forme luxueuse et inventive que prit l’hôtel de Beauvais. Par ailleurs, Cateau-la-borgnesse, ainsi qu’on la surnommait, aura à cœur de rester aussi proche que possible d’Anne d’Autriche; et le biographe Saint-Simon, grand observateur de la vie de cour, la qualifie de cette manière:

«[...] Créature de beaucoup d'esprit, d'une grande intrigue, fort audacieuse, qui eut le grappin sur la Reine-mère, et qui était plus que galante [...]»

C’est Antoine Le Pautre, jeune architecte du couvent de Port-Royal à Paris, qui va concevoir ce chef d’œuvre d’hôtel particulier, même si son plan n’est pas typique.

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Hôtel de Beauvais,
plan.

En effet, la demeure est avantageusement située sur le parcours royal Est/Ouest qui permettait au souverain de rejoindre le palais du Louvre. Ainsi le programme décoratif et iconographique se déclinait dès la façade sur rue: à l’origine, avant qu’il ne soit remanié au XVIIIe siècle, l’avant-corps central comportait des refends, et était surmonté d’un fronton triangulaire; il portait le chiffre de la Reine, entouré de deux victoires. L’étage noble était marqué d’une balustre de pierre, d’où l’on pouvait contempler les cortèges passant dans la rue. Sept hautes fenêtres rythmaient la façade, et celle du centre était ornée de griffons, entourant un magnifique mascaron. Aujourd’hui, il est toujours possible d’admirer à l’attique deux pots à feu, surmontés d’une corniche à modillons… Mais le reste de la décoration n’a pas survécu aux propriétaires successifs.

Pour pouvoir apprécier pleinement la somptuosité de la résidence des Beauvais, il faut entrer dans le vestibule. Cela n’est possible que les samedis et dimanches, car pendant la semaine les activités du Tribunal administratif de la ville de Paris qui occupe l'endroit ne le permettent pas. Le gardien du lieu admet - selon l’affluence nous a-t-il dit - les visiteurs respectueux. On pénètre alors au sein d'une architecture tout à fait miraculeuse de beauté et de sérénité!

Le vestibule est circulaire et composé de huit colonnes d’ordre dorique, surmontées d’une frise alternant régulièrement triglyphes et métopes. L’iconographie sculptée nous présente des bucranes (têtes de Bélier, allusion au nom de jeune fille de la première propriétaire: Catherine Bellier), ainsi que des trophées d’armes, et les initiales "PCHB" pour Pierre Catherine Henriette Bellier. Un escalier extraordinaire, ajouré et décoré, que l’on doit à Martin Desjardins, desservait le logis doublé en profondeur. Ce vestibule offrait ainsi le luxe incroyable d’échapper, lorsqu’on posait le pied hors de sa voiture, non seulement à la boue des rues mais aussi à la pluie! Et permettait de pénétrer directement dans la demeure.

La cour, en rotonde,  fut conçue par Le Pautre comme un espace de mise en scène: le premier niveau est marqué par un entablement sur lequel alternent des têtes de lions avec de nouveau des bucranes. Tout un dialogue de courbes et de contre-courbes anime l’espace: le bâtiment en fond de cour est concave, pour permettre sans doute la manœuvre des attelages. Le rez-de-chaussée est rythmé de refends tandis que le premier étage est annoncé par une frise de consoles à écailles, de mascarons (l’un d’entre eux est dit représenter le visage de Catherine de Beauvais) et de bucranes. Le premier étage est adouci par des pilastres ioniques, à guirlandes de fleurs; il est souligné d’un très beau balcon en fer forgé. Les fenêtres sont surmontées de mascarons. Le deuxième étage accueille des pilastres d’ordre corinthien. 

C’est ici qu’a été tourné le court métrage publicitaire pour le parfum de Chanel Coco Mademoiselle mettant en scène Keira Knightley.

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Mascaron dit à l'image de Catherine de Beauvais,
façade corps de logis en fond de cour.

C’est ainsi que cet hôtel novateur, luxueux, fut un poste d’observation et de parade très convoité, le 26 Août 1660, lors de « l’Entrée en la ville du Roi Louis-Dieudonné de Bourbon » (Louis XIV), avec son épouse Marie-Thérèse. En effet Anne d’Autriche, la reine d’Angleterre, et la Cour, purent signifier au Roi leur présence en ce jour si grand, et les saluer, ainsi que le voulait la coutume. Deux des femmes les plus chères au cœur du jeune monarque, bien qu’à des titres différents, se trouvèrent
réunies là en ce jour.

L’hôtel de Beauvais, plus tard, dut être vendu par Catherine de Beauvais qui à la fin de sa vie se trouva ruinée. Il fut transformé ensuite par Robert de Cotte, qui en simplifia la façade en ôtant les sculptures.

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Carrogis Louis Carmontelle,
Mozart enfant jouant au piano avec son père et sa sœur,
aquarelle, 1762. (Chantilly, Musée Condé)

Avant de devenir la résidence du Comte Van Eyck, ambassadeur d'Autriche, la demeure hébergea un autre hôte prestigieux: le petit Wolfgang Amadeus Mozart, qui y résida avec son père Léopold et sa sœur Nannerl de Novembre 1763 à Avril 1764. C’est ici qu’il composa ses premières sonates, publiées à Paris. L’on raconte qu’il charma si bien la Cour qu’il reçut du Roi toutes sortes de cadeaux dont une tabatière en or et 50 Louis d’or. 

C’est aussi en ce lieu que Léopold eut l’idée de faire représenter sa petite famille par l’aquarelliste Carmontelle, alors très en vogue. L'image devait servir de « publicité » pour leur tournée en Europe.

Plan

Prochaines étapes

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