Le collège de Boncourt


Fondés en 1353 par Pierre de Bécoud, les bâtiments du collège de Boncourt furent octroyés à l’École polytechnique de 1804 à 1976, avant que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche n’y installe ses bureaux. Le collège a dû subir de nombreux aménagements ou agrandissements dont celui de 1688 qui le vit être rattaché à son voisin, le collège de Navarre.

On sait qu’il était d’usage de jouer des pièces de théâtres dans les collèges depuis fort longtemps puisqu’un règlement de 1488 stipule que le principal (directeur) était tenu de censurer et de veiller à la bonne moralité des comédies données en son lieu. On ne sait pas, en revanche, dans quelle mesure les recteurs eurent le loisir d’appliquer cette règle à la hauteur de leurs exigences. De nombreuses farces et sotties furent jouées dans les collèges et les escoliers n’aimaient rien tant que  tourner en dérision le pouvoir, qu’il soit laïc ou religieux.

Le collège de Boncourt fut le terrain d'un évènement annonciateur d'un véritable renouveau de l’art littéraire théâtral français, puisque c'est ici qu'en 1553 Étienne Jodelle, alors jeune auteur de 20 ans, présenta sa pièce, Cléopâtre captive. Jodelle était un artiste aux talents multiples: écrivain, il concevait également les décors et la musique de ses spectacles, n’hésitait pas à prêter main-forte aux machinistes et surtout, costumé et maquillé comme il se doit, incarna lui-même le personnage de la reine d'Égypte. Malheureusement, son tempérament allié à sa jeunesse volcanique causa quelques soucis à ses partenaires. Lorsque  Seleucius, le serviteur, accuse la reine de garder pour elle le trésor offert par Octavien, le pauvre comédien reçut une véritable raclée de la part de celle-ci qui lui mit le visage en sang. Mais cette pièce n’est pas tant restée dans les annales pour les frasques de son auteur que pour son innovation. En effet, depuis les interdits du Parlement et de l’Église, les auteurs furent dans l’obligation de trouver de nouvelles sources d’inspiration et, sous l’influence de Ronsard, se tournèrent vers l’Antiquité. Jodelle fut donc le premier à écrire une pièce qui ne faisait référence ni à la Bible ni à des personnes contemporaines. Le spectacle fut joué auparavant à l’Hôtel de Reims devant le roi Henri II qui fut tellement satisfait qu’il offrit 500 écus d’or à l’auteur. Il ne faudrait cependant pas croire que les dramaturges étaient tous fortunés comme nous le rappelle une anecdote. En effet, en 1581, Fronton du Duc présentant sa «Jehanne d’Arc» à Charles de Lorraine, se vit remettre une bourse d’or par le duc... ému par l’état de délabrement du pourpoint de l’auteur!

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Léonard Gaultier (graveur),
"Portrait d’Étienne Jodelle",
extrait du recueil Portraits de plusieurs hommes illustres (Jean Le Clerc éditeur),
4e quart du XVIe siècle.

Fort de son succès, Jodelle réitéra l’expérience avec son Didon se sacrifiant (1555) qui offrit un des premiers exemples de dialogues concis et rythmés, tranchant avec les longs monologues soporifiques alors en vogue.  Malgré cela, les pièces de Jodelle restaient des salmigondis de strophes et d’antistrophes parfois peu engageantes. Mais l'élégance de sa plume lui valut de rejoindre le cercle de la Pléiade aux côtés de Ronsard et Du Bellay.

«Je dessine, je taille, je charpente et massonne
Je broche, je pourtray, je coupe, je façonne
Je cisèle, je grave, émaillant et dorant
Je tapisse, j’assieds, je testonne et décore
Je musique, je sonne et poétise encore.»

Étienne Jodelle, Épithalame de Madame Marguerite sœur du roi Henri II (1559)

Les auteurs redoublèrent donc d’efforts pour concurrencer leurs coreligionnaires avec plus ou moins de réussite. Jacques Grévin, élève lui aussi au collège de Boncourt, adapta Plutarque et s’inspira de Jodelle et Marc-Antoine Muret pour écrire La mort de César (1561). Antoine de Montchrestien fit de son David (1601) une farce grossière où Yahvé siégeait aux côtés de Mars, Venus et Apollon. Un certain Jean de Schélandre (1584-1635) fut le premier à faire alterner le tragique et le burlesque dans une même pièce, Les grelots et les poignards, posant ainsi les jalons des futures comédies dramatiques et aplanissant le terrain sur lequel interviendra Molière par la suite. Précurseur, le bazochien Jean Bouchet (1476-1550) fut quant à lui le premier à faire alterner les rimes masculines et les rimes féminines. Théodore de Bèze (1519-1605) écrivit Le sacrifice d’Abraham (1550) dans lequel le patriarche hésite douloureusement à obéir aux ordres de Dieu, sujet d'autant plus délicat en pleine guerre de religion que l’auteur se rallia à la doctrine calviniste. Pour finir, citons Jean de la Taille, lui aussi élève au collège de Boncourt, qui imposa le premier la règle des trois unités (unité de lieu, de temps et d’action) qui charpentera ensuite la dramaturgie de l’âge classique, ainsi que Robert Garnier qui fut une véritable « star » de son temps et reçut l’admiration de Ronsard pour ses vers qui posèrent les prémisses d’un style que Corneille éleva à son paroxysme.

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