Les cafés de l'avenue d'Orléans


Après la défaite de l'insurrection de 1905, les bolcheviks ont dû fuir la réaction tsariste. Dans un premier temps, leur destination principale fut la Suisse. C'était une tradition ancienne : Plekhanov, Axelrod, Véra Zassoulitch, Gorky, Lénine et d'autres s'y étaient installés avant 1905. C'est de là que partait vers la Russie le gros de la presse clandestine, à commencer par l'Iskra. Mais au début de 1908, le gouvernement helvétique se mit à exercer une certaine pression sur les révolutionnaires russes, fermant par exemple leurs imprimeries. Un de ces émigrés fut arrêté sous la fausse accusation d'avoir participé au hold-up d'une banque à Tbilissi.
Du fait de la présence déjà assez importante d'émigrés russes dans la capitale française, devenue la principale destination de ceux qui fuyaient la misère, la répression tsariste ou les pogroms contre les Juifs, le choix d'y établir le centre des activités illégales russes devenait naturel. Les principaux dirigeants bolcheviks s'y installèrent, tels Lénine, Kroupskaïa, Inessa Armand, Zinoviev, Kamenev, Lounatcharsky, Bogdanov, Semashko et d'autres. D'autres révolutionnaires comme Martov et Trotsky y menaient leurs activités publicistes.

Les cafés parisiens étaient et restent encore aujourd'hui des lieux de rencontre. Depuis le temps du Procope, ils ont rythmé la vie artistique, intellectuelle et politique des français. Les émigrés qui, fuyant la répression policière de leur pays d'origine, avaient choisi Paris comme ville d'adoption se conforment volontiers à cet usage. Mais ces "bistros" — un terme qui est emprunté à la langue russe — avaient également un rôle plus pratique : ils offraient un refuge contre le froid ou une table bon marché.

À cela s'ajoutent des cantines spécialement créées à l'intention de ces immigrés qui, dans leur grande majorité, sont d'origine humble et sans ressources. Pour ceux-là les cafés et les restaurants sont encore trop chers.

Au moins trois des cafés de l'avenue d'Orléans — aujourd'hui avenue du Général Leclerc — étaient les lieux de rencontre habituels des sociaux-démocrates, bolcheviks ou mencheviks. Les deux premiers, le café du Lion et celui des Manilleurs, se trouvaient au début de l'avenue, non loin du Lion de Belfort. Le troisième, le café du Puits Rouge, était quant à lui situé au carrefour des quatre chemins, aujourd'hui place Victor et Hélène Basch.

Le Café du Lion

Le café du Lion était le siège du cercle d'échecs de l'arrondissement. Rien d'étonnant à ce que les émigrés russes en aient fait un lieu de rencontres et de jeu. Lénine, sans être aussi assidu que d'autres, y jouait de temps en temps, surtout en compagnie d'Antonov-Popov qui devait plus tard s'engager dans la légion étrangère de l'armée française et mourir à la guerre. Selon Aline, les bolcheviks y organisaient aussi des réunions.

Quelques mètres plus loin, au numéro 11

Le Café des Manilleurs / Café Caput

Le café des Manilleurs — également connu sous le nom de café Caput, du nom de son propriétaire — était le lieu préféré pour les réunions du groupe bolchevik. Au prix de la consommation d'un verre de vin ou d'autre boisson, on avait le droit de monter à l'étage pour tenir discrètement des réunions. Le nom des manilleurs dérive du jeu de cartes de la manille d'origine espagnole qui, adopté en France, était très populaire à l'époque.

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Le café des Manilleurs, connu aussi sous le nom de café Caput

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Notice dans la presse russe sur le café Caput

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Autre image du café des Manilleurs

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L'emplacement du café des Manilleurs

Deux réunions importantes y eurent lieu : en juin 1909, lors d'une réunion du Comité de rédaction élargi du Proletari, le journal de la fraction bolchévique, sous l'impulsion de Lénine on décida d'expulser de la fraction bolchévique l'otzoviste et animateur de l'école de Capri, Alexandre Bogdanov. Une deuxième réunion, la Conférence des organisation étrangères du POSDR s'y tint en décembre 1911. Celle-ci devait préparer la conférence de Prague qui determina la rupture définitive avec les mencheviks. 

La réunion du Comité de rédaction élargi de Proletari (juin 1909)
En mai 1909 Lénine publie en Russie son "Matérialisme et Empiriocriticisme",
En mai 1909 Lénine publie en Russie son "Matérialisme et Empiriocriticisme", en polémique avec les Bogdanov et les "otzovistes". La rupture se profile avec le groupe de Bogdanov. Bogdanov, Alexinsky, Lounatcharsky et d'autres projettent de créer une école du parti sur l'île de Capri, où demeure Gorky qui les accueille et les aide financièrement. Lénine s'oppose à cette initiative et, visant à combattre les groupes otzovistes et ultimatistes de la fraction bolchévique, il convoque une conférence de la rédaction de Proletari. Elle aura lieu du 21 au 30 juin au café des Manilleurs. Y participeront plusieurs délégués en provenance de Russie, parmi lesquels Tomsky, Rykov et Chouliatov. Les deux courants oppositionnels y furent condamnés et Bogdanov exclu des rangs bolcheviks. Lénine avait préparé cette réunion avec soins : une réunion de préparation avec ses camarades les plus proches s'était tenue dans son appartement rue Beaunier le jour précédent.

En mai 1909 Lénine publie en Russie son "Matérialisme et Empiriocriticisme", en polémique avec les Bogdanov et les "otzovistes". La rupture se profile avec le groupe de Bogdanov. Bogdanov, Alexinsky, Lounatcharsky et d'autres projettent de créer une école du parti sur l'île de Capri, où demeure Gorky qui les accueille et les aide financièrement. Lénine s'oppose à cette initiative et, visant à combattre les groupes otzovistes et ultimatistes de la fraction bolchévique, il convoque une conférence de la rédaction de Proletari. Elle aura lieu du 21 au 30 juin au café des Manilleurs. Y participeront plusieurs délégués en provenance de Russie, parmi lesquels Tomsky, Rykov et Chouliatov. Les deux courants oppositionnels y furent condamnés et Bogdanov exclu des rangs bolcheviks. Lénine avait préparé cette réunion avec soins : une réunion de préparation avec ses camarades les plus proches s'était tenue dans son appartement rue Beaunier le jour précédent.

La Conférence des organisations Étrangères du POSDR (décembre 1911). Une des réunions les plus importantes fut la Conférence des Organisations Étrangères de la Fraction Bolchévique du POSDR, qui se tint du 27 au 30 décembre 1911. Cette conférence, qui vit la participation des ténors bolchéviques (Lénine, Kroupskaïa, Zinoviev, Kamenev, Inessa Armand) devait préparer la conférence de Prague de janvier 1912 ; celle qui consomma la séparation effective entre les bolcheviks et les autres fractions. Lénine était déterminé à prendre le contrôle du parti avec une organisation soudée et centralisée. L'été précédent, l'école de Longjumeau avait formé des cadres du parti. Certains étaient retournés clandestinement au pays. Ils seront délégués à Prague. À la réunion de décembre on décida de former un Comité des Organisations Étrangères (KZO) pour remplacer, en tant que principale organisation du parti hors Russie, le Bureau Étranger du Comité Central devenu presque inactif. Ce Comité composé de 5 membres fut créé à Paris, en même temps qu'une commission spéciale chargée de préparer une résolution à présenter à la conférence de Prague. À la suite de la réunion de décembre, le KZO lança un appel à former des sections bolchéviques et, sous l'impulsion d'Inessa Armand, un effort fut réalisé pour renforcer les relations avec des groupes du parti, déjà proches des positions de Lénine, dans d'autres villes européennes. En avril, Lénine reprend la publication à Saint-Pétersbourg de la Pravda. Ses efforts de formation d'un "parti de type nouveau" rencontrent toutefois une certaine résistance de la part de ses sympathisants, surtout ceux qui sont établis en Russie et, plus grave encore, de la part des rédacteurs et éditeurs de la Pravda, qui sont assez loin des querelles des fractions social-démocrates. Dès qu'Inessa Armand arrive à Cracovie, Lénine lui demande de rejoindre la Russie clandestinement pour rencontrer les éditeurs du journal et faire en sorte qu'ils s'alignent sur ses positions de rupture.

Avancez jusqu'au n. 19 de l'avenue Général Leclerc

L'Agence du Crédit Lyonnais

« En ce qui concerne l'argent, je te demande de m'envoyer tout ensemble (j'ai un grand besoin d'argent) ; le mieux serait de me le faire parvenir par une banque, précisément par le Crédit Lyonnais. Afin qu'on ne prenne pas trop sur le change, le mieux serait d'acheter des francs à Moscou et d'envoyer la somme exacte en francs de Moscou, au Crédit Lyonnais (agence Z, avenue d'Orléans, 14e) au nom de M. Oulianov, compte courant n. 6420. […] » [Lettre de Lénine à sa sœur, 6 avril 1909]

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L'agence Z du Crédit Lyonnais

La question financière était un sujet très controversé au sein du POSDR. Avec la baisse des effectifs dans les années qui suivent l'insurrection de 1905, les caisses du parti sont vides. Les ventes de journaux et livres sont aussi en baisse. Des militants organisent des expropriations de banques et de commerces en Russie, mais cette activité ne suffit pas pour couvrir les frais d'imprimerie et les autres dépenses du parti : voyages, écoles et rémunération des dirigeants. D'autant que la répression rend toute initiative du parti très précaire. Lénine reçoit de temps en temps de l'argent de sa famille et de la vente de ses livres. Il est également rémunéré par le parti. Trotsky est le correspondant à l'étranger de quelques journaux russes. D'autres encore ont des fortunes de par leur famille.

Avec les divisions internes au POSDR surgissent aussi des questions concernant les fonds qui lui appartiennent. Dans ces disputes entre mencheviks et bolcheviks on ne lésine pas sur les coups et les subterfuges. Il en va de la survie de leurs activités politiques en Russie et à l'étranger. Le cas le plus notable fut celui du legs Schmidt. 

Le legs Schmidt
Ce L'histoire du legs Schmidt est savoureuse. À l'origine...
L'histoire du legs Schmidt est savoureuse. À l'origine de cette affaire se trouve un riche donateur, le millionnaire Savva Mozorov, issu d'une famille de grands commerçants. À la demande de Gorky, Mozorov avait donné des fonds pour la publication de l'Iskra. En 1905, il se suicide et lègue selon certaines sources 100.000 roubles aux bolcheviks. Son neveu, Nikolaï Schmidt, à la tête d'une entreprise d'ameublement, est également un sponsor des sociaux-démocrates. Arrêté par la police tsariste en 1905, lui aussi se suicide en prison en 1907 dans des circonstances peu claires. Son héritage est destiné au moins en partie à la cause révolutionnaire, y compris aux bolcheviks. Mais selon la loi il devrait être attribué à ses deux sœurs et à son frère. Pour assurer que les fonds soient finalement récupérés par le parti, celui-ci demande à deux militants, Nikolaï Andrikanis et Victor Taratula, de courtiser et d'épouser les deux filles, ce qu'ils font avec succès. Toutefois le premier, Andrikanis, ne respecte pas son engagement et garde la plupart des fonds pour lui-même après avoir quitté le parti. Le deuxième, Taratula, en accord avec son épouse, réussit à transférer au POSDR sa part d'héritage, sous forme d'actions de la compagnie du frère et de liquide. En novembre 1909 Taratula et son épouse se rendent à Paris pour apporter près de 275 000 francs (environ de 2 millions d'euros de 2016). C'est cette somme que Lénine dépose sur un compte au Crédit lyonnais.
Mais les mencheviks réclament une partie des fonds du parti, techniquement encore unifié, y compris ceux de l'héritage Schmidt, qui à l'origine n'étaient pas exclusivement destinés aux bolcheviks. Ce point fut longuement discuté et Lénine dut accepter de transférer la gestion d'une partie des fonds à trois garants du parti allemand, Clara Zetkin, Karl Kautsky et Frank Mehring. Toutefois, le centre bolchevik avait gardé le contrôle d'une grande partie des fonds, qui furent utilisés pour payer les salaires des dirigeants, les publications et l'école de Longjumeau. 

L'histoire du legs Schmidt est savoureuse. À l'origine de cette affaire se trouve un riche donateur, le millionnaire Savva Mozorov, issu d'une famille de grands commerçants. À la demande de Gorky, Mozorov avait donné des fonds pour la publication de l'Iskra. En 1905, il se suicide et lègue selon certaines sources 100.000 roubles aux bolcheviks. Son neveu, Nikolaï Schmidt, à la tête d'une entreprise d'ameublement, est également un sponsor des sociaux-démocrates. Arrêté par la police tsariste en 1905, lui aussi se suicide en prison en 1907 dans des circonstances peu claires. Son héritage est destiné au moins en partie à la cause révolutionnaire, y compris aux bolcheviks. Mais selon la loi il devrait être attribué à ses deux sœurs et à son frère. Pour assurer que les fonds soient finalement récupérés par le parti, celui-ci demande à deux militants, Nikolaï Andrikanis et Victor Taratula, de courtiser et d'épouser les deux filles, ce qu'ils font avec succès. Toutefois le premier, Andrikanis, ne respecte pas son engagement et garde la plupart des fonds pour lui-même après avoir quitté le parti. Le deuxième, Taratula, en accord avec son épouse, réussit à transférer au POSDR sa part d'héritage, sous forme d'actions de la compagnie du frère et de liquide. En novembre 1909 Taratula et son épouse se rendent à Paris pour apporter près de 275 000 francs (environ de 2 millions d'euros de 2016). C'est cette somme que Lénine dépose sur un compte au Crédit lyonnais.
Mais les mencheviks réclament une partie des fonds du parti, techniquement encore unifié, y compris ceux de l'héritage Schmidt, qui à l'origine n'étaient pas exclusivement destinés aux bolcheviks. Ce point fut longuement discuté et Lénine dut accepter de transférer la gestion d'une partie des fonds à trois garants du parti allemand, Clara Zetkin, Karl Kautsky et Frank Mehring. Toutefois, le centre bolchevik avait gardé le contrôle d'une grande partie des fonds, qui furent utilisés pour payer les salaires des dirigeants, les publications et l'école de Longjumeau. 

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