Natalia rencontre Leon


Les révolutionnaires du POSDR débarquent à Paris. Les membres du POSDR étaient contraints à l'exil par la dure répression tsariste. À peine né en 1897, le parti fut décapité par la police tsariste qui arrêta tous les membres du comité central. Dans ces conditions, l'organisation était amenée à s'appuyer sur les réseaux à l'étranger. En Suisse d'abord, où s'étaient réfugiés les premiers et les plus éminents marxistes russes, tels que Plekhanov, Axelrod et Véra Zassoulitch ; mais aussi à Londres et en Allemagne. La social-démocratie allemande n'était-elle pas pour tous le modèle à suivre ? 

Bien que Paris ne fût pas encore un centre névralgique pour la diaspora, la capitale française avait vu croître le nombre des représentants des communautés non russes ou juives. Une des premières organisations fut une cellule du Bund, la section juive du POSDR. D'autres militants s'y installent également au début du siècle: parmi eux, Martov, Trotsky, Kamenev, Lounatcharsky, Ludmila Stal, ainsi que Charles Rappoport qui avait émigre en France en 1887, après les attentats contre le tsar Alexandre III. Il était devenu membre du parti socialiste français. Dans les années qui précédèrent la révolution russe, Rappoport assurait le lien entre la SFIO et les membres du POSDR à Paris.

La rencontre entre Trotsky et Sedova. Natalia Sedova, qui deviendra la compagne et la seconde femme de Trotsky, faisait partie du groupe Iskriste de Paris. L'Iskra — en russe "l'Étincelle" — était l'organe du POSDR, publié depuis janvier 1901 à Munich sous la direction de Plekhanov, Martov et Lénine. Le groupe de Paris s'était formé assez rapidement et organisait ou participait aux réunions politiques des émigrés russes. C'est dans ces occasions que Lénine et Trotsky, alors basés à Londres, se rendaient à Paris ou y transitaient parfois, quand ils se rendaient à Genève pour rencontrer Plekhanov. 

C'est lors d'une de ces réunions que Natalia rencontra Trotsky : 

« En 1902, j'habitais Paris. J'allais prendre mes repas dans un appartement de la rue Lalande où, pour vivre à meilleur compte, nous mettions nos ressources en commun. [...] Léon Davidovitch vint rue Lalande le jour même de son arrivée. Il avait vingt-trois ans ; il venait de passer trois années d'exil en Sibérie orientale. Sa vitalité, sa vivacité d'esprit, sa capacité de travail faisaient déjà reconnaître en lui une personnalité énergique et formée. Il s'intéressa peu à Paris cette fois. 
« Odessa vaut mieux » s'exclamait-il par boutade. Il tenait surtout à se familiariser avec le mouvement socialiste de l'émigration russe, mais il nous arriva de contempler ensemble le tombeau de Baudelaire que l'on apercevait derrière le mur du cimetière Montparnasse. […] À partir de cette époque, ma vie ne se sépare plus de la sienne. Nous vécûmes rue Gassendi dans ces quartiers aérés que notre émigration affectionnait. »

Trotsky était à l'époque un collaborateur très proche de Lénine, qui en appréciait les capacités de travail et la plume. Au début de 1903, il l'entraine à Genève avec le groupe dirigeant de l'Iskra et le fait coopter au comité de rédaction. Il écrit à Plekhanov, qui, lui, avait développé une forte aversion pour le jeune militant surdoué : « Pero [nom de bataille de Trotsky] écrit depuis des mois dans chaque numéro. D'une façon générale, il travaille pour l'Iskra de la façon la plus énergique, il fait des conférences (et avec un énorme succès). Pour les rubriques d'actualité (articles et notes) il nous sera non seulement très utile mais vraiment indispensable. C'est un homme aux capacités indubitablement hors de pair, convaincu, énergique, qui ira encore de l'avant. Et, dans le domaine des traductions et de la littérature populaire, il saura faire bien des choses. » (Lénine à Plekhanov, 2 mars 1903)

C'est à cette époque que remonte une petite anecdote concernant Lénine et Trotsky à Paris : 

« A la demande de la section marxiste des étudiants, Lénine devait faire trois conférences sur la question agraire à l'École des Hautes Études, organisées à Paris par des professeurs qui avaient été chassés des universités russes. Ces professeurs libéraux invitèrent l'incommode conférencier à s'abstenir autant que possible de polémique. Mais Lénine refusa d'accepter aucune condition et commença sa première leçon en disant que le marxisme était une théorie révolutionnaire qui, par conséquent, comportait nécessairement de la polémique.
Il me souvient qu'avant cette première causerie, Vladimir Ilitch était très ému. Mais, à la tribune, il reprit aussitôt possession de lui-même, ou du moins il en eut tout l'air. Le professeur Gambarov, qui était venu pour l'écouter, exprima à Deutch son impression en deux mots : "Un vrai professeur". Il croyait évidemment décerner ainsi le plus grand des éloges.
Il fut décidé que l'on montrerait à Lénine ce que c'est qu'un opéra. Sedova fut chargée d'organiser l'affaire. Lénine se rendit à l'Opéra-comique muni de la serviette qu'il emportait à ces conférences. Nous formions un groupe dans une galerie du théâtre : outre Lénine, Sedova et moi, il y avait, ce me semble, Martov. Cette visite à l'Opéra-comique se rattache à un souvenir qui n'a absolument rien de musical. Lénine avait acheté des chaussures à Paris. Elles se trouvèrent trop étroites. Comme par hasard, mes chaussures à moi demandaient avec insistance à être remplacées. Lénine me donna les siennes et, au commencement, il me sembla qu'elles étaient juste à ma pointure. Quand nous nous rendîmes à l'Opéra, cela marcha parfaitement. Mais, au théâtre, je sentis que l'affaire se gâtait. Sur le chemin du retour, je souffrais atrocement et Lénine me raillait tout le temps, d'autant plus impitoyable qu'il avait enduré lui-même, plusieurs heures, le supplice de ces chaussures. (Trotski, Ma Vie)

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