L'enclos du Temple


Et ça vous paraîtra bizarre, mais le fou, tôt ou tard, met les Templiers sur le tapis.
-Toujours ?
-Il y a aussi les fous sans Templiers, mais les fous à Templiers sont les plus insidieux. Au début, vous ne les reconnaissez pas, ils ont l’air de parler normalement, et puis tout à coup...

U. Eco, Le pendule de Foucault (trad. de fr. 1990)

Le rendez-vous est fixé à la station de Métro « Temple » sur la ligne n°3 dont le nom de même que ceux d'endroits environnants tels que la « rue du Temple »,  la « rue des fontaines du Temple », le « Boulevard du Temple », la « rue Vieille du Temple » témoigne éloquemment de l'empreinte de cet Ordre si mystérieux au centre de tant de spéculations et autres divagations ésotériques.

Si vous en êtes d'accord, vous suivrez de près avec nous,  le long de la présente pérégrination, le roman déjà cité d'Umberto Eco, Le pendule de Foucault, fondé sur une connaissance très sure des soubassements ésotériques et alchimiques de la plupart des lieux et emplacements remarquables que nous rencontrerons sur notre chemin.

Parlez-vous l'alchimie ?

 La pratique de l'alchimie exige un nombre impressionnant de connaissances et une très longue initiation...

La pratique de l’alchimie exige un nombre impressionnant de connaissances et une très longue initiation qu’il serait évidemment ridicule de prétendre résumer en quelques mots ou même en quelques pages.

Néanmoins, pour les plus curieux d’entre vous, voici un tableau de correspondances entre les lettres de notre alphabet usuel et les symboles alchimiques.

Ceux qui en ont le goût peuvent s’amuser à transcrire leurs prénoms en usant de ces symboles. Les plus hardis d’entre eux pourront pousser l’audace jusqu’à faire parvenir à leur voisin ou à leur voisine quelque message codé dont le contenu est bien entendu laissé à leur entière discrétion. Les affinités électives susceptibles de naître entre vous dans le cours de cette balade ne sauraient en effet regarder le moins du monde ceux qui n’en sont que les modestes organisateurs.

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Symboles alchimiques

De la station de métro déjà mentionnée, redescendons à présent la rue du Temple jusqu'à l'église Sainte-Elizabeth  de Hongrie, où nous traversons  pour emprunter la rue perpendiculaire dite Dupetit-Thouars.

Coup d’œil: L'église Sainte Elizabeth contient un tableau représentant les adieux de Louis XVI à sa famille ainsi que quatre autres petits tableaux rappelant les souvenirs de la captivité de la famille royale au Temple que nous allons bientôt évoquer.

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Jean-François Garneray (1755-1837)
"Louis XVI à la Tour du Temple", fin XVIII s.

Nous voici à l'intérieur du périmètre de ce qui était l'enclos du Temple.

Du reste, la Ville de Paris a eu l'heureuse initiative d'apposer en cet endroit un panneau explicatif qui retrace l'histoire du Temple jusqu'à la destruction de l'Ordre.

Sur le trottoir de droite, découvrons ensemble un plan de l'ancien quartier graphiquement superposé au quartier actuel et qui permet d'apprécier ainsi l'extension géographique de cette partie de la ville contenue à l'intérieur de l'enceinte de Charles V.

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Charles Lanciaux, Plan du quartier du Temple ancien, 1917
Paris, Musée Carnavalet

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Hoffbauer, Théodor-Joseph-Hubert nach Brezet - Théodor-Joseph-Hubert Hoffbauer. Paris à travers les âges, Paris, 1882- détail du plan de Turgot, 1734
Source: Wikipedia

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Plan Merian, le quartier du Temple, 1615, détail

En poursuivant sur le même trottoir,  tournons dans la deuxième rue à droite (rue Eugène Spuller) qui longe le célèbre Carreau du Temple autrefois marché consacré à la fripe dont l'ambiance pittoresque nous est superbement restituée par l'essayiste Gérard de Sède, un des premiers à avoir entretenu par ses nombreuses publications sur ce thème la légende moderne des Templiers et du prétendu Prieuré de Sion dont tant d'auteurs postérieurs jusqu'à Dan Brown ont fait leurs choux gras, au début du premier ouvrage qu'il consacra dès 1962 aux Templiers modernes :

En plein cœur de Paris, chaque matin, s’éveille un endroit bien pittoresque. Ce n'est qu'un marché couvert comme tant d'autres, mais il connaît dès l'aube l'agitation d'une fourmilière. Jacassant dans toutes les langues du monde, un menu peuple de boutiquiers l'investit. Armé de crochets emmanchés à de longues tiges de bois, il lève en les faisant grincer les rideaux de fer de ses échoppes sur le plus cocasse des spectacles : la robe  de grand bal, égarée, voisine avec le costume de confection, un travesti côtoie  une soutane, de vieux uniformes allemands qui ont dû souffrir à Stalingrad envient les pacifiques bleus de travail si neufs qu'ils répandent encore l'odeur fade de l'amidon.
G. de Sède, Les Templiers sont parmi nous, Paris, 1962, p. 45

Malheureusement, il ne nous est plus loisible aujourd'hui de jouir d'un tel spectacle, car ce lieu est depuis quelques années  en cours de réfection et promis à abriter prochainement un espace polyvalent, et nous voici bientôt devant la façade de l'actuelle Mairie du IIIe arrondissement.

Outre la plaque qui désigne l'emplacement où se trouvait le donjon du Temple, on peut repérer sur le sol le tracé en bleu des quatre tourelles formant un carré abattu sous le premier Empire.

 Dans une vidéo réalisée en 2014, l'association historique du Temple de Paris a proposé une reconstitution en 3D de la Grosse Tour du Temple.

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Vidéo de reconstitution de la Tour du Temple de Paris à l'époque des Templiers

À cet endroit, viennent se recueillir tous les 21 janvier les différents prétendants à la succession de la branche aînée de la famille royale qui viennent fleurir les grilles du square du Temple en hommage à Louis XVI et à la famille royale emprisonnés en ce lieu avant leur exécution.

Le temps est maintenant venu de nous arrêter un peu sur l'histoire séculaire et tourmentée de l'Ordre du Temple.

Comme il ne reste rien du Temple lui-même, pour voyager un peu par l'esprit et nous faire une idée de la puissance de l'Ordre, cédons  un instant la parole à Casaubon, le narrateur de l'intrigue du Pendule de Foucault qui s'adresse ici à ses deux collègues de maison d'édition Garamond, Jaopo Belbo et Diotallevi, qui l'interrompent fréquemment, médusés par son  discours :

… l’histoire tout le monde la connaît … Baudouin devient le premier roi d'une Jérusalem délivrée … Et voici qu'en 1118, sous le règne de Baudouin II, arrivent neuf personnages guidés par un certain Hugues de Payns, qui constituent le premier noyau d'un Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ : un ordre monastique, mais avec épée et armure. Les trois vœux classiques, pauvreté, chasteté, obéissance, plus celui de la défense des pèlerins. Le roi, l'évêque, tous à Jérusalem, leur donnent aussitôt des aides en argent, les logent, les installent dans le cloître du vieux Temple de Salomon. Et voilà comment ils deviennent Chevaliers du Temple … l'Ordre est devenu puissant, on cherche à en faire partie même si on a une bonne position dans sa patrie …  au fond, il est difficile d'évaluer leurs actions, parce que souvent les historiographes chrétiens, tel Guillaume de Tyr, ne perdent aucune occasion de les dénigrer.
– Pourquoi ?
-Parce qu'ils deviennent trop puissants et trop vite. Tout arrive avec saint Bernard … je vous ai raconté ces choses pour vous faire comprendre les contradictions du Templier. Il doit être mystique, ascétique, ne pas manger, ne pas boire, ne pas baiser, mais il parcourt le désert, coupe la tête des ennemis du Christ, plus il en coupe plus il gagne de coupons pour le paradis … l'ordre avait reçu d'immenses donations et peu à peu il avait construit des commanderies dans toute l'Europe. Pensez qu'Alphonse d'Aragon lui fait cadeau d'une région entière, mieux : il le couche sur son testament et lui laisse son royaume au cas où il devrait mourir sans héritiers [...]p.85

[...]-Mais le fameux Baphomet ?
-…Naturellement il y a ceux qui soutiennent que le Baphomet était une figure alchimique.
-L'alchimie y est toujours pour quelque chose, dit Diotallevi avec conviction, il est probable que les Templiers connaissaient le secret de la fabrication de l'or.
p. 108-109
U. Eco, Le pendule de Foucault, op. cit.

L'existence exotérique de l'Ordre s'acheva, on le sait, tragiquement par sa dissolution au début du XIVe siècle par Philippe le Bel qui le fit condamner pour son hérésie supposée, confisqua ses biens immenses et fit brûler son Grand Maître Jacques de Molay le 18 mars 1314, non loin de là, à la pointe de l'île de la Cité. Le roman d'Eco ne manque pas de faire allusion à la  malédiction qu'aurait lancée le Grand Maître contre la race des Capétiens, alors qu'il était en proie aux flammes, et à laquelle un mystérieux inconnu est supposé avoir fait écho près d'un demi-millénaire plus tard (478 ans, 10 mois et 3 jours, soit  très exactement le 21 janvier 1793) en se hissant sur l'échafaud au moment  où la tête ensanglantée de Louis XVI tombait et en s'écriant : « Jacques de Molay, tu as été vengé ! ».

Veuillez nous suivre à présent, sur votre droite, dans la rue de Bretagne qui, au-delà du carrefour qu'elle forme avec la rue du Temple, devient la rue Réaumur.

Coup d’œil: Après cinq minutes de marche environ, nous croisons la rue Turbigo où, à notre droite, très précisément au fronton du n°57, se dévoile soudain devant nous la mystérieuse Caryatide (la plus haute de Paris) désignée dans toute la littérature ésotérique « l'Ange du Bizarre » dont la « trompette … sinistrement béante » est évoquée par Baudelaire dans ses Fleurs du mal, et qui nous indique peut-être que nous cheminons dans la « bonne » direction.

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"L'Ange du Bizarre", @Blue Lion 2013

Poursuivant notre chemin dans la rue Réaumur, nous nous trouvons bientôt devant l’Église Saint-Martin-des-Champs, transformée en Conservatoire des Arts et Métiers en 1794 par l'abbé Grégoire également fondateur du Bureau des longitudes. 

C’est ici même que commence l'action du roman de Eco qui nous sert en partie de trame. En prenant la rue Vaucanson sur notre droite et en longeant le corps de bâtiment le plus récent du Conservatoire, nous trouvons à notre gauche la rue du Vertbois qui croise la rue Saint-Martin, véritable épine dorsale de cet itinéraire qui, selon une lecture ésotérique, constitue l'axe mercurial de la ville, puisque provenant du Mont Mercure.

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