Le caveau du soleil d'or


La force des lieux réside dans la rencontre, dans la possibilité mise en acte par le destin d’approcher les êtres. Et ces lieux, on ne les choisit pas forcément. Souvent c’est plutôt eux qui viennent à nous, qui nous choisissent. Le Caveau du soleil d’or renfermait déjà dans son nom sa prémonition : la quête d’un ailleurs, d’un possible, de la beauté. 

Situé au n°1 de la place Saint Michel, dans le cinquième arrondissement, cet établissement attire dans ses salles un nombre considérable d’écrivains se revendiquant du surréalisme. Entre la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle, le café offre aux poètes et aux artistes de la capitale les célèbres soirée de La Plume, revue fondée par Léon Deschamps le 1er avril 1889, auquel succéda Karl Boés de 1899 à 1914. La Plume s’insère dans le mouvement moderniste et met en cause la littérature soi-disant « établie ». La revue cherche à promouvoir toute sorte d’entreprise artistique, publiant les textes de Verlaine, de Mallarmé et de Jules Laforgue, avec des illustration de Gauguin, Toulouse-Lautrec et Pissarro

C’est autour des parutions d’abord de la revue, ensuite des livres publiés par  maison d’édition homonyme, que La Plume organise une fois par semaine des soirées au Caveau du soleil d’or, qui devient rapidement le lieu de prédilection de la nouvelle génération d’écrivains parisiens. Chacun peut y réciter ses vers et ses textes en  proses. C’est l’avant guerre. L’atmosphère est électrisée, parfois tendue, mais personne ne peut vraiment prévoir ce qui va réellement se produire d’ici quelques années. 

Le 18 avril 1903, Guillaume Apollinaire participe à l’une de ces soirées et y rencontre Alfred Jarry et André Salmon. Apollinaire n’avait alors publié que quelques poèmes, des contes et des chroniques. Il avait aussi collaboré à La Revue Blanche, pendant qu’il travaillait dans une banque pour avoir de quoi vivre. André Salomon venait en revanche de rentrer de Russie, où il avait passé cinq ans, et cherchait à faire publier ses premiers vers. Avec ce dernier, il crée la revue Festin d’Ésope, qui dure jusqu’en août 1904 et publie 9 numéros.  A ce duo s’ajoute aussi le poète Nicolas Deniker, l’un des membres de rédaction de la revue Festin d’Ésope

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Couverture composée par Mucha pour la revue littéraire et artistique La Plume, 1898

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Maurice Gilbert (1856-1913), Toulouse peint Lautrec, 1891

Le public de La Plume est varié : Verhaeren y passe lors de ses visites à Paris, on y voit aussi Stuart Merrill, Gustave Kahn, Louis Dumur, Paul Frot, Fagus, Charles-Louis Philippe, Maurice Magre, Paul Souchon, Louis Payen, Charles Derennnes, Charles Guérin, Eugène Montfort, Henri Degron, Maurice de Faramond, Valmy-Baysse, Jean Grave. Puis, parmi les fidèles apparaissait figurait aussi le norvégien Arne Hammer, secrétaire de rédaction de L’Européen. On pouvait y entrevoir de plus Paul Fort, Fernand Gregh et Mècislas Golberg, un anarchiste juif polonais, qui se retrouvent régulièrement au Caveau du soleil. 

Ardengo Soffici, l’une des plus célèbres figures du futurisme florentin, eut occasion de passer plusieurs fois au Caveau du soleil d’or et en laissa un important témoignage : 

Venus de tous les coins de la ville, ils descendaient donc dans le caveau du Soleil d’Or, ample local mal éclairé par de rares becs de gaz, et se pressaient de plus en plus nombreux au fil des heures, des personnes et des personnalités de toutes les générations : des jeunes gens étrennant leur première barbe et des hommes âgées, obscurs et célèbres, habillés à la diable ou avec une élégance de seigneurs […]. C’est ainsi  que l’on pouvait voir assis à la même table devant un verre d’absinthe ou devant un café noir le dessinateur Cazals, autrefois ami de Verlaine, près du vieux  Elémir Bourges ; le caricaturiste Rouveyre en train de converser avec le poète et commissaire de police Raynaud ; le peintre Chales Guéin en conciliabule avec l’auteur du Roi Ubu, Jarry, avec le romancier libertin Willy, mari de Colette et ami de la Polaire, avec le grand poète Moréas.
On allait au Caveau pour discuter poésie, philosophie, politique. On y plaidait la cause du naturalisme et on se laissait porter par les spéculations bavardes autours de la médecine. On en arrivait même à se livrer à des discours sur les investissements financiers. Tout était permis au Caveau du Soleil, il fallait seulement garder à l’esprit le vœu de Karl Boès, à savoir « le contact moral qui doit exister entre tous ceux qui aiment vraiment la beauté ». 

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Prochaines étapes

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