Le Procope


Au commencement était le Procope : premier véritable café parisien, cette institution inaugure la longue tradition parisienne des terrasses peuplées par les écrivains et artistes de la capitale. 

Peu de temps après l'arrivée en France de la boisson magique connue sous le  nom de « café » apportée sultan Mehmed IV, un italien venu de Sicile, né à Palerme vers 1650, s'installa à Paris et, comme tant d'autres qui avaient franchi la frontière pour faire fortune, décida de se mettre à l'œuvre et d'épater tout le monde, et en premier lieu lui-même. Et ce fut ce qu'il fit. 

Francesco Procopio, Procope de Cousteau pour les français, dérivé de l'italien dei Coltelli, commença sa longue carrière comme simple vendeur ambulant de café, avant de rentrer comme employé chez Pascal, un arménien qui décida d'ouvrir l'un des premiers établissements de café à Paris, pour l'aider à monter une tente dans l'enceinte de la foire de Saint-Germain. 

Jeune garçon doué pour les affaires, une fois que Pascal quitta son entreprise, Procope se mit à son propre compte, et, avec ce qu'il arriva à gagner, peu de temps après s'être marié, il ouvrit une petite échoppe, rue de Tournon. 

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Francesco Procopio de' Coltelli

Les affaires continuèrent à prospérer, Procope étant l'un de ces hommes nés sous une bonne étoile, et, onze ans après, toujours désireux de réussir au mieux dans son entreprise, à la fois ambitieux et intelligent, il décida d'agrandir les murs de sa propriété, reprenant le bail d'un établissement de bain « Au saint suaire de Turin », situé au 13, rue de l'Ancienne-Comédie, dans le 6e arrondissement.

Comme beaucoup d'italiens, il avait un goût inné pour la beauté, une âme raffinée ainsi qu'une prédilection pour l'architecture somptueuse, dont il avait pu admirer tant de chefs d‘œuvre dans sa patrie. Il s'en inspira pour remettre à neuf et décorer l'endroit qu'il venait d'acquérir, en le transformant en un authentique lieu de luxe en plein cœur de Paris. Il fit placer des lustres de cristal au plafond et des miroirs dans la salle, pour que le salon apparaisse plus grand et majestueux, à la lueur des chandelles, le soir, quand les clients commencèrent à se réunir dans le café, de plus en plus attirés par l'établissement, comme des abeilles qui ne peuvent s'empêcher d'aller nulle part d'autre que vers le miel. C'est ainsi qu'il en fut  pour le Procope, qui devint le véritable rayon de miel de la vie mondaine parisienne.

Son propriétaire, un authentique bateleur de la restauration qui partageait entre ses multiples tâches de distillateur, d'apothicaire, de liquoristes et d'épicier, ne se contenta pas de posséder une belle brasserie au centre de la capitale. Il voulut davantage : il désira que son établissement devînt le café ante litteram de Paris. Après avoir agrandi le lieu, décoré les salles, préparé les tables, en bon italien l'esprit voué à la beauté de l'Opéra, il fit de son établissement un théâtre, s'occupant ainsi à mettre en place une véritable mise en scène dans les salles. C'est ainsi qu'à l'intérieur de son café, les garçons devaient porter des perruques, ou des bonnets phrygiens, à savoir la coiffure des affranchis durant l'antiquité, un couvre-chef qui fit son apparition pour la première fois ici, au Procope, tandis que les boissons et les pâtisseries étaient servies sur des plateaux d'argents majestueux, qui conféraient à l'endroit une atmosphère magique. De plus, la Comédie Française était située à l'époque juste en face du café. Quoi de plus normal, voire de plus naturel que de sortir d'un spectacle de théâtre pour se rendre au spectacle de la vie, n'est-ce pas ?

En 1700, Procope obtint ainsi une permission de la ville pour approvisionner en eau son établissement à la fontaine Saint-Germain grâce à une conduite privée qui fournissait directement à son café, qui, à l'époque, était situé rue Neuve des Fossés-Saint-Germain.
En quelques années, le Procope devient un des cafés littéraires les plus à la mode et surclasse même le célèbre café de la Régence, fondé cinq ans plus tôt, avec lequel il est en concurrence directe et qui se trouve, lui, sur la Place du Palais-Royal. 

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Claudius Jacquand,
Voltaire dans le salon de lecture du Café Procope

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Le café Procope au XVIII siècle.
À noter, en particulier, les tables avec le jeu d'échec

Procope s'éteignit, après une vie dévouée à son métier, son café ayant été la grande œuvre de sa vie en 1716. Son fils reprit la direction du café. Désormais, derrière ses tables, on y voyait les personnalités qui ont influencé notre pensée moderne. Voltaire en était l'un des habitués si fidèle à l'établissement que, après sa mort, en 1794, la table où il était généralement assis fut utilisée comme un autel votif au cours du transfert de ses cendres au Panthéon. Outre celui de Voltaire, on y conserve aussi le bureau de Rousseau. Les cercueils de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau et de Jean-Paul Marat connurent le même traitement, avant d'être placés au Panthéon. 

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Diderot et Voltaire au Café Procope - Le dîner des philosophes

Diderot y passait son temps à écrire ses articles pour l'Encyclopédie, en compagnie de d'Alembert, tandis que Benjamin Franklin y travaillait sur son « projet d'alliance de Louis XVI avec la nouvelle République » ainsi que sur l'esquisse de la future Constitution américaine, ce dont témoigne d'ailleurs une plaque commémorative placée à l'intérieur de l'établissement.

Il y avait aussi Montesquieu, qui, entre une théorie philosophique et l'autre, s'arrêtait à pour boire un café, tout en immortalisant la consommation de ce breuvage de plus en plus en vogue à Paris, dans ses Lettres persanes, où il se réfère notamment au café Procope : 

« Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques unes de ces maisons on dit des nouvelles, dans d'autres on joue aux échecs. Il y en a une où l'on apprête le café de telle manière qu'il donne de l'esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n'y a personne qui ne croie qu'il en a quatre fois plus que lorsqu'il y est entré. »

Durant la Révolution française, le Procope attire les militantes, qui se réunissent toutes autour de ses tables pour tenter de dresser le nouveau portrait de la France à venir. On y retrouvait alors le club des Cordeliers, à savoir la Société des Amis des droits de l'homme et du citoyen, avec Danton et Marat en première ligne. On y croisait aussi Robespierre, comme en témoigne encore aujourd'hui un portrait placé dans une des vitrines du café, et, à l'intérieur, une citation de Camille Desmoulins qui rappelle la grandeur humaine de l'établissement :

« Ce café n'est point orné comme les autres de glaces, de dorures et de bustes, mais il est paré du souvenir de Grands Hommes qui l'ont fréquenté et dont les ouvrages en couvriraient les murs s'ils y étaient rangés. »

On raconte que c'est du Procope encore que, le 10 août 1792, partit l'ordre de donner l'assaut au palais des Tuileries, moment décisif pour la Révolution, car, c'est en ce jour fatidique, que se produisit la chute de la monarchie française. 

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Plaque des Révolutionnaires au Procope

Entre-temps, le café passa, en 1821 et jusqu'en 1839, dans les mains de Jean-Baptiste-Godefroy-Modeste Heu, qui épousa la fille de François-Georges Delaunay, propriétaire depuis 1802 du Café Anglais. C'est alors que l'établissement, après avoir sombré pendant une décennie dans l'anonymat, redevint l'endroit de pointe où se retrouvèrent des artistes et des lettrés de la dimension d'un de Musset, d'une George Sand, d'un Gautier, d'un Roger de Beauvoir, lequel, par ailleurs, lui consacra en 1835 un livre intitulé Le café Procope, ainsi que les comédiens Frederick Lemaître, Marie Dorval et Mademoiselle George

C'est ici que se rendait aussi la nouvelle génération d'écrivains du XIXème siècle, et notamment de Musset, Victor Hugo, Verlaine, Anatole France, parce que la vie intellectuelle a besoin de nourrir non seulement les esprits, mais aussi les ventres, et que le nouveau maître des lieux, Heu, était considéré le prince des glaces, des brioches, des petits fours, des marrons glacés et des limonades, comme l'écrivirent les critiques de l'époque. 

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Verlaine au Procope en 1899

En témoignage renouvelé de son dévouement à la cause politique, c'est toujours au Procope que, le 13 décembre 1883, eut lieu la première assemblée du « Stade Français ». 

Mais comme toute belle histoire, celle du Procope connut aussi sa chute. La faute, si l'on eut parler de faute, n'était pas strictement liée à l'établissement, mais plutôt au nouveau visage urbain qu'avait acquis la ville de Paris, ainsi qu'à la mode du moment, qui vit les artistes et les écrivains se déplacer dans d'autres lieux parisiens. Au XXème siècle, le café perd en grande partie sa clientèle artistique qui, à cette époque, toujours désargentée, décide de migrer vers les quartiers pauvres de la capitale, et notamment à Montmartre, où on la retrouve dans des cafés buvant de l'absinthe et faisant la fête dans les cabarets. 

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Eugène Atget
Le Procope, 1900

Ce n'est qu'au milieu du siècle dernier, pour en célébrer la mémoire, que le Procope redevient une institution reconnue, avec, depuis 1954, la remise du Prix de l'Humour noir et, depuis 2005, celle du Prix Jean-Zay. En 2011, vint s'y ajouter aussi le Prix Procope des Lumières, qui voulait rendre hommage aux philosophes dont l'esprit planait encore les lieux. Le lauréat, outre un chèque de 2000 euros, était récompensé par une table ouverte au Procope à concurrence de 2400 euros, dont il pouvait profiter pendant une période 12 mois, ainsi que  par une prestigieuse bouteille de champagne. A la tête du jury siégeait Jacques Attali, accompagné d'André Bercoff, Malek Chebel, François de Closets, Roger-Pol Droit, Caroline Fourest, Alexandre Lacroix, Aude Lancelin et Olivier Poivre d'Arvor.
Aujourd'hui encore, à l'entrée du café, on peut trouver aux murs la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 tandis que, toujours pour célébrer la mémoire de la Révolution, les portes des toilettes portent les enseignes de « Citoyens » et « Citoyennes », tandis qu'un chapeau de Napoléon se trouve à l'entrée : une bicorne qui avait servi au règlement de ses dettes. 

 

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