L’Ecole de Médecine et les Cordeliers


L'Eglise des Cordeliers ou le Temple du Martyr

Engageons-nous dans cette rue de l'Ecole de Médecine (ancienne rue des Cordeliers), les trois quarts de cette rue était occupée par la grande église Sainte Madeleine du couvent des Cordeliers, ne laissant à  la rue de l'époque révolutionnaire que sa dimension médiévale : son emplacement et sa dimension sont exactement ceux des trois quarts du trottoir de gauche. C'est cette rue étroite qu'empruntaient nos révolutionnaires pour se rendre au Club des Cordeliers. Dans cette église situé en face de son domicile, le corps embaumé de Marat, avant sa « Panthéonisation », fut exposé sur un lit triomphale entouré de tentures de toile tricolore ; sur des pierres de la Bastille, on grava « le véritable ami du peuple fut poignardé par les ennemis du peuple ».

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Fougeat, "Pompes funèbres de Marat dans l'ancienne église des Cordeliers, le 16 juillet 1793", Paris, Musée Carnavalet, fin XVIIIème siècle.

En face de cette église médiévale, deuxième en taille après Notre Dame de Paris - 120 mètres de long sur 30 mètres de large - et la plus fréquentée de Paris, triomphait le siècle des Lumières avec ce nouveau Collège Royal de Chirurgie (aujourd'hui Ecole de Médecine), ordonné par Louis XV et exécuté par l'architecte Jacques Gondoin : il inaugure les grands travaux d'urbanisme effectués sur la Rive Gauche.  L'Hôtel de Monnaie, le Panthéon, le théâtre de l'Odéon, la façade de Saint-Sulpice sont autant d'incitations à remodeler un quartier pour les temps à venir, comme la Révolution allait remodeler la société.

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"Couvent des Cordeliers et Ecole de Médecine".

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"Vue des Écoles de médecine et de chirurgie. A droite, l'entrée des Cordeliers", Paris, Bibliothèque Nationale de France, XIXème siècle.

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L. Chancourtois, "Place de l'Ecole de Médecine ou l'on voit encore les restes de l'Eglise des Cordeliers", Paris, Bibliothèque Nationale de France,1805.

C'est bien le XVIIIème siècle qui apportera les bouleversements dans l'ordonnancement architectural du quartier, reflet des bouleversements sociaux, politiques et économiques que la Philosophie des Lumières met en chantier et qu'achèvent les Révolutionnaires. S'inspirant des monuments antiques, le néo-classicisme va marquer l'architecture du Siècle des Lumières et sera le symbole de ces forces nouvelles en gestation. L'Ecole de Médecine avec son admirable portique de la cour intérieure, son grand escalier et son amphithéâtre (abstraction faite des deux ailes ajoutées dans le dernier quart du XIXème siècle et construites sur l'emplacement d'anciens collèges démolis à cet effet) en est un magnifique exemple. Par opposition, les bâtiments médiévaux, considérés par l'esprit du siècle comme représentant un âge sombre et superstitieux, seront négligés, abandonnés et souvent détruits. Le Couvent et l'Eglise des Cordeliers seront démantelés de 1794 à 1795. La Révolution aura un effet accélérateur dans le phénomène architectural et urbanistique déjà amorcé par les Lumières, elle fera table rase des vieux édifices médiévaux comme elle le fera de l'Ancien Régime.

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Pierre-Antoine de Machy, "Démolition de l'église des Cordeliers", Paris, Bibliothèque Nationale de France,1795.

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Pierre-Antoine de Machy, "Démolition de l'église des Cordeliers",Paris, Bibliothèque Nationale de France,1795.

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Pierre-Antoine de Machy, "Démolition de l'église des Cordeliers",Paris, Bibliothèque Nationale de France,1795.

Le club des Cordeliers ou le Cénacle des cerveaux de la Terreur

En pénétrant dans la faculté de Médecine, le premier bâtiment qui attirera votre attention est, sur votre gauche, le réfectoire. Il est l'unique vestige, avec le tracé du cloître, du couvent des Franciscains, dit « Cordeliers », car ces moines portaient une simple corde en guise de ceinture. De style Gothique flamboyant, il fut construit en 1370 et remanié. C'est dans ce couvent des Cordeliers  qu'enseigneront d'éminents penseurs tels que John Duns Scott et Roger Bacon, « le génie le plus vaste et le plus complet qui, dans cette longue période –le Moyen-Age- se soit produit en Europe » (L. Figuier). A travers eux, ces couvents et ces collèges vont exercer un rayonnement considérable et feront la réputation de ce quartier qui deviendra au Moyen-Age le centre intellectuel de l'Europe. L'Université de Paris verra affluer des étudiants de toute l'Europe. Leur langue commune, le latin, donnera le nom de « Quartier latin » à ce quartier de l'Université. Dès le Moyen-Age le quartier a déjà vocation à l'universalité, vocation confirmée par cette révolution qui se veut universelle et messianique dans ses déclarations, ses textes et ses impulsions, s'adressant à l'Homme et au Citoyen en général, hors de frontières.

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"Le club des Cordeliers".

Les clubs : C'est dans ce couvent des Cordeliers que se réunirent les membres du club qui prit son nom. Les clubs, les salons, les cafés, les sociétés savantes vont fleurir dans le terreau fertile des Lumières, c'est là où l'opposition au système politique, économique et social va pouvoir s'exprimer. Plusieurs clubs, sorte de préfiguration de nos partis politiques,  vont devenir les centres névralgiques de la Révolution. Le paradoxe est que ces clubs anticléricaux seront connus sous des noms religieux puisqu'ils prendront le nom des lieux où ils se réunissent, souvent les couvents confisqués par le pouvoir révolutionnaire : ici ce sera le club des Cordeliers comme il y aura celui des Jacobins et des Feuillants. Pénétrez dans les bâtiments neufs à droite et asseyez-vous dans le cloître: vous retrouverez le plan monastique et un peu l'atmosphère de la quiétude conventuelle ; l'axe de la branche nord du cloître en entrant, vous donne le tracé de l'ancienne église. 

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"Dernière séance du Club des Cordeliers ", estampe, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1791.

Le club des Cordeliers : A la Révolution le couvent fut supprimé et la Société des Amis des droits de l'homme et du citoyen, club révolutionnaire fondé à Paris en mai 1790, s'y installa. Il sera retenu dans l'histoire sous le nom de Club des Cordeliers, ses membres seront les cerveaux de la Terreur. Il occupa jusqu'en 1794 la salle Théologique qui se trouvait à l'emplacement de l'amphithéâtre d'Anatomie que vous voyez au milieu du cloître, tandis que l'église sera réservée aux cérémonies révolutionnaires. Danton, Fabre d'Eglantine, Marat, Hébert, Chaumette, Legendre en furent les chefs principaux. Avec le club des Jacobins, qui s'étaient rapprochés de leurs thèses, ils furent sous la Convention l'âme de la Montagne (gauche parisienne et centralisatrice) et exercèrent une véritable dictature sur les organes du pouvoir.
Après la chute des Girondins, le club des Cordeliers se radicalisa d'avantage sous l'impulsion de Marat et représenta de plus en plus les sectionnaires, les sans-culottes : ils passèrent  sous le contrôle des extrémistes, Hébert, qui se voulait le nouveau Marat, Chaumette et leurs amis, qui luttèrent pour la dictature de la Commune et entra en conflit avec la Convention. On les désigna comme la faction des Enragés : ils furent éliminés en mars/avril 1794 et le club des Cordeliers fut fermé, ce qu'il  en restait fusionna avec les Jacobins. Danton et ses amis seront éliminés un mois plus tard. C'est ici que les membres du club des Cordeliers reçurent en 1792 le fameux bataillon des Marseillais qui donnèrent leur nom à la chanson de Rouget  de Lisle : elle devint la Marseillaise, hymne de la République devenu hymne nationale.
Après leur chute en mars 1794, les Cordeliers furent absorbés par les « Jacobins », nom donné à La Société des Amis de la Constitution, moins radicalisés, plus liés à la Convention qui tenaient leurs réunions dans les bâtiments  des Dominicains de la rue Saint- Honoré, annexe  du couvent  de la rue Saint-Jacques (d'où le nom de Jacobins). Par décret de la Convention du 4 décembre 1794, tous les bâtiments et terrains dépendant du ci-devant  couvent des Cordeliers furent  mis à la disposition de L'Ecole de Santé.

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"Portrait de Rouget de Lisle, auteur de la Marseillaise", Paris, Bibliothèque Nationale de France.

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