Le Potager du roi


Introduction

Nous nous trouvons maintenant à l’entrée du Potager du Roi, un lieu chargé d’histoire et indissociable du domaine national de Versailles, au même titre que le château, les jardins ou encore les Trianon. En effet, c’est ici que s’est illustrée pour le mieux la capacité des hommes à surpasser la nature et à dompter les saisons. Plus qu’un simple jardin potager, c’est avant tout une véritable prouesse artistique et technique que nous allons à présent visiter. Le potager, au même titre que la Cour des senteurs, témoigne de l’héritage de savoir-faire créés il y a plus de trois siècles à Versailles. Ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage occupe les lieux et est en charge de la conservation et de la valorisation de ce potager qui fait partie des plus anciens encore visitables en France.  

La Quintinie, l’homme cueilli à point

Derrière toute réalisation notable se cache avant tout un homme. Maître, technicien ou génie, c’est en tout cas au jardinier Jean-Baptiste de la Quintinie que nous devons le Potager qui s’étend maintenant devant nous. Avocat passionné par les plantes, c’est au cours d’un voyage en Italie qu’il enrichie ses connaissances et expérimente des techniques alors jusque là méconnues dans le reste du monde. Il lit le moindre ouvrage qu’il trouve au sujet des végétaux, des arbres fruitiers, des cultures maraîchères, s’intéressant aussi bien à leur plantation qu’à leur taille. Pline L’Ancien et Columelle sont ses mentors. Il fait de leurs théories sa propre doctrine, agrémentée par les avancées techniques et scientifiques de l’époque. De retour en France, alors âgé d’une trentaine d’années, il se fait la main dans le jardin d’un certain monsieur Tombonneau, rue de l’Université à Paris, puis il se retrouve rapidement au service de Colbert, en charge des jardins potagers et fruitiers de Sceaux. Sa renommée ne tardant pas à s’étoffer, on le retrouve également aux côtés du prince de Condé à Chantilly mais surtout, dans l’ombre du controversé Nicolas Fouquet à Vaux-le-Vicomte. C’est précisément la disgrâce de Fouquet qui précipitera La Quintinie dans la lumière. Non content d’avoir fait enfermer cet ennemi trop ambitieux qui lui faisait de l’ombre, Louis XIV, nous l’avons vu précédemment, débauche aussi les grands artistes qui seront à l’origine de Versailles. Parmi les noms célèbres se cache un homme qui a le don de faire mûrir la nature du bout de ses doigts : Jean-Baptiste de la Quintinie. 

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Statue de Jean-Baptiste de la Quintinie, Potager du Roi, Versailles
Photo: Antonio Ca' Zorzi (2015)

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Jean-Baptiste de la Quintinie, statue, Potager du Roi, Versailles
Photo: Antonio Ca' Zorzi (2015)

Ainsi « cueilli » par Louis XIV en personne, le jardinier fait son entrée à la Cour de Versailles. Mais ici, pour travailler au service du Roi, la renommée ne suffit pas ; seules les preuves tangibles ont un réel impact sur les décisions du maître des lieux. Aussi Louis XIV commence-t-il par confier à La Quintinie la conservation de l’ancien potager de son père, initialement situé à l’emplacement de l’actuel Grand Commun. Satisfait de son travail, le souverain le nomme en 1670 « directeur de tous les jardins fruitiers et potagers royaux », une charge créée expressément pour lui. Pour Jean-Baptiste de la Quintinie, fils de bourgeois charentais, c’est une consécration qui lui permet ainsi d’accéder à l’une des plus hautes fonctions de la Cour. Le jardin est un succès, mais face aux agrandissements colossaux des bâtiments royaux et à l’augmentation constante des courtisans, l’ancien jardin de Louis XIII ne suffit plus. La Quintinie, qui se pense alors au sommet de sa gloire, n’en est finalement encore que très loin. C’est lorsqu’il lui confie la charge de construire un nouveau potager que les desseins du Roi se dévoilent enfin au grand jour. Il ne s’agit pas uniquement pour le jardinier de créer un jardin fruitier et potager. Il s’agit avant tout de créer l’impossible. L’enjeu est de taille, et du succès de La Quintinye dépend son honneur et, bien évidemment, sa longévité au service du Roi. 

En effet, la parcelle que l’on daigne lui octroyer n’est qu’un marécage odorant formé de trois étangs aux eaux croupissantes, ce qui lui valait à cette époque le nom fleuri « d’étang puant ». Il œuvrera sans jamais renoncer pendant cinq ans, pour que, enfin, en 1683, le marais ait laissé place à un lopin fertile et propice à tout type de culture. L’emplacement ingrat avait pourtant été choisi « dans une situation commode pour les promenades et la satisfaction du roi », même si, comme le déclarera lui-même La Quintinie, la terre est « de la nature de celles qu’on voudrait ne trouver nulle part ». Après Le Nôtre ayant réussi la prouesse d’assainir le terrain acheté par le Roi pour y aménager de somptueux jardins, c’est au tour de La Quintinie de réaliser l’impensable ; faire pousser des espèces fruitières et potagères sur ce terrain à priori impropre à tout aménagement. Le Potager du Roi est né, et le nom du jardinier, lui, inscrit à tout jamais dans la postérité.

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Keraudren, Aménagement de "l'étang puant",
Gravure du XVIIIe siècle

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Plan du Jardin du Potager du Roi à Versailles, Perelle, sans date

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Vue et Perspective du Jardin potager du Roi, estampe, auteur non connu

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Plan actuel du Potager du Roi

Un Potager « à la française »

Si l’on retient d’avantage l’exemple des jardins royaux de Versailles lorsqu’on évoque les jardins à la française, ce serait se méprendre que d’oublier que l’autre jardin si cher au Roi, son potager, était également un chef-d’œuvre des jardins français. En effet, ce n’est pas parce qu’il n’est pas dédié à la promenade que le jardin potager doit déroger aux règles d’architecture paysagiste en vigueur à l’époque. 

En entrant dans le jardin, dirigez-vous sur la droite en passant par la terrasse, jusqu’à temps d’arriver au niveau de la statue de Jean-Baptiste de la Quintinie, d’où vous surplomberez l’ensemble des plantations. De là, on voit clairement que le potager se divise en « carrés ». Le Grand Carré central se compose lui-même de seize carrés disposés symétriquement autour d’un grand bassin, élément emblématique des jardins à la française. La terrasse d’où nous nous trouvons actuellement avait avant tout une fonction de mise en scène puisque ainsi, en surplombant le paysage, le roi et sa cour avaient une vision quasi théâtrale de l’ensemble des cultures. Inutile de déambuler dans les allées ; de ce point de vue chacun pouvait admirer la beauté de cette réalisation. Mais les murs et la terrasse n’ont pas seulement que cette fonction plaisante et esthétique. En effet ces murs, comme tous ceux qui traversent le jardin, ont avant tout une raison d’être purement technique. Ils permettent par exemple la culture des arbres fruitiers en espalier, ce qui permet la production de fruits au calibre plus importants et aux couleurs plus vives. Ces murs servent par ailleurs de « chambres », c'est-à-dire que les parcelles bénéficient d’une multitude d’expositions permettant ainsi de juxtaposer des cultures variées. Ils joueront également un rôle important pour les arbres sensibles à la chaleur ou au froid. Aujourd’hui, les dimensions du jardin n’ont que peu évolué. Celui-ci occupait vingt-cinq arpents, ce qui correspond plus au moins aux neuf hectares que nous pouvons toujours admirer, même si des remaniements importants ont été effectués au XVIIIe siècle, modifiant quelque peu sa morphologie d’origine. 

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Le potager du roi du château de Versailles
Photo: Paris Histoire (2013), Wikimedia

Le monde et les saisons à la table de Versailles

Si certains espaces d’origine ont disparu, il n’est pas impossible de retrouver leur trace. A la place de l’actuel amphithéâtre et des bâtiments de l’administration de l’ENSP, se trouvait une figuerie. Les figues y étaient cultivées en caisses dans un jardin en creux ou dans un bâtiment pour les protéger des intempéries trop violentes. Lors de la création du potager, on ne comptait pas moins de sept cents figuiers ! Il en est de même pour le jardin de la melonnière qui a aujourd’hui disparu et maintenant remplacé par des serres. La grande serre, que vous pouvez apercevoir derrière la statue de Jean-Baptiste de la Quintinie est un véritable vestige, puisqu’elle abritait une serre chaude construite en 1860. Cette variation de constructions de verre, ces variations d’exposition, ainsi que l’utilisation de fumier frais provenant des écuries royales voisines, permettaient aux jardiniers de cultiver des espèces auxquelles le climat parisien ne convenait pas. Ainsi, fraise, figues, melon et autres fruits exotiques se retrouvaient de façon permanente à la table du Roi, et ce malgré les saisons et les conditions climatiques particulièrement rudes de l’époque. La Quintinie a réellement été le premier jardinier à introduire en France les cultures à contre-saison, comme il l’explique lui-même dans son ouvrage Instruction pour les jardins fruitiers et potagers publié en 1690 : 

« La chaleur, tant dans la terre que dans l'air ne peut régulièrement venir que des rayons du soleil. J'ose dire pourtant que j'ai été assez heureux pour l'imiter en petit à l'égard de quelques petits fruits : j'en ai fait mûrir cinq et six semaines devant le temps, par exemple des fraises à la fin mars, des précoces, et des pois en avril, des figues en juin, des asperges et des laitues pommées en décembre, janvier, etc »

Après des années d’expérimentation, il réalise avec son potager royal un véritable chef-d’œuvre, quintessence de son savoir-faire et de sa prouesse. Pour la première fois, on découvre aussi que l’utilisation du fumier influe énormément sur la récolte ; qu’il soit de cheval, de bœuf ou de vache, les résultats escomptés ne seront pas les mêmes. Craignant les pâles imitations, c’est avec ferveur qu’il entreprit de rédiger son Instruction pour les jardins fruitiers et potagers qui sera publié par son fils à titre posthume en 1690. Entre autres nouveautés, on découvre pour la première fois dans cet ouvrage de référence une note sur l’importance du rôle de la sève « dans la croissance et la fructification des arbres fruitiers », ainsi qu’une autre sur « le système racinaire des arbres et les précautions indiquées lors de leur transplantation ». Véritable recueil chirurgical, cette Instruction va porter la culture fruitière au rang d’art. On entre ainsi réellement dans une spécialisation pointue ou l’expérimentation est à la base du progrès. Comme l’avait avoué La Quintinie, « un bon jardinier doit avoir de la passion pour les nouveautés ». Le jardinier n’en manque pas, ce qui lui vaudra notamment d’être anobli en 1687, un an avant sa mort. 

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Jean-Baptiste de la Quintinie,Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, 1690

Passionné de jardinage, Louis XIV appris même auprès de la Quintinie à tailler les arbres fruitiers. La conservation de ces techniques de taille ancestrales reste d’ailleurs l’une des principales missions du potager du roi et de l’ENSP. Louis XIV s’enorgueillissait de ses connaissances botaniques auprès des hôtes de marque à qui il faisait volontiers visiter son petit bijou de culture, tels l’ambassadeur de Siam ou encore l’un des doges de Venise. La promenade au potager était des plus agréables. Tout d’abord, il fallait descendre par l’escalier des « Cent Marches » le long du parterre de l’Orangerie. De là, on pouvait admirer avec délectation la création de Mansart destinée à accueillir orangers, citronniers et oliviers, qui étaient ensuite utilisés pour parfumer l’intérieur du château, arbres dont la culture était également confiée à La Quintinie. Ensuite, on remontait une allée bordée de poiriers le long de la Pièce d’eau des Suisses et enfin, on accédait à la terrasse, d’où l’on pouvait admirer le potager avant de déambuler en son sein. 

Si l’on n’était pas invité à visiter le potager, on ne pouvait que se demander par quel miracle fruits, légumes et condiments des colonies pouvaient sans cesse se retrouver sur la table de Versailles. En effet, non seulement le potager fournissait la table du Roi, mais il approvisionnait également les Petits Appartements, le Grand Commun et les officiers et serviteurs qui y résidaient, ainsi que le pensionnat de Saint-Cyr créé par Madame de Maintenon. Après la mort du jardinier de génie, ce sont les Le Normand qui seront chargés de la gérance du potager. Même si François Le normand, premier de la dynastie, y réalise de belles créations, notamment l’aspergeraie, il n’atteindra jamais le même renom que La Quintinie. Du fait de la mort de Louis XIV en 1715 et de la régence du Duc d’Orléans depuis Paris, le potager voit son activité considérablement diminuée, même si les règnes de Louis XV et Louis XVI lui redonneront ses lettres de noblesse. A la mort du dernier des Le Normand en 1782, les propriétaires se succèderont pendant près d’un siècle, jusqu’à la création de l’École Nationale d’Horticulture en 1873 puis de l’ENSP en 1976.

En ressortant du Potager, dirigez vous sur la gauche et descendez la rue du Maréchal Joffre. Au bout de la rue, traversez et continuez tout droit dans la rue de Satory. Profitez-en pour admirer l'architecture Versaillaise du XVIIIe siècle. En plus de quelques boutiques, vous trouverez ici de quoi régaler vos papilles, des spécialités de la Bretagne ou de la Turquie, en passant par le Japon ou encore le Limousin. Continuez dans la rue de Satory jusqu'à la fin de sa section piétonne, puis tournez immédiatement à gauche dans la rue de Fontenay. Continuez sur cent mètres et tournez à droite dans la rue du Jeu de Paume. L'accès à la salle se fait vers le milieu de la rue. Avant d'y pénétrez, ne manquez pas les explications et illustrations qui se situent sur les murs extérieurs de la salle.  

 

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