Introduction
« Le Champ-de-Mars, voilà le seul monument qu'a laissé la Révolution... L'Empire a sa colonne [Vendôme], et il a pris encore presque à lui seul l'Arc de Triomphe ; la Royauté a son Louvre, ses Invalides ; la féodale église de 1200 trône encore à Notre-Dame… Et la Révolution a pour monument... le vide... Son monument, c'est ce sable, aussi plan que l'Arabie... [Mais] un grand souffle le parcourt que vous ne sentez nulle part ailleurs, une âme, un tout-puissant esprit... Et si cette plaine est aride, et si cette herbe est séchée, elle reverdira un jour. Car dans cette terre est mêlée profondément la sueur féconde de ceux qui, dans un jour sacré, ont soulevé ces collines... »
Ces lignes, Jules Michelet les écrivit en 1847, en préface à son Histoire de la Révolution. Il ne savait pas qu’une cinquantaine d’années plus tard, sur ce monument en creux, s’élèverait celui, certes vide de ses mailles ajourées mais sacrément plein tout de même de ses 300 mètres et de ses 10 000 tonnes : la Tour Eiffel.
La Tour n’est pas à proprement parler un monument commémoratif de la Révolution; c’est l’Exposition Universelle de 1889, à l’occasion de laquelle elle fut érigée, qui marqua le centenaire de celle-ci. Mais symbole de Paris capitale industrielle du XIXe siècle, la Tour Eiffel manifeste bien la libération des forces productives permise par la révolution bourgeoise de 1789, pour reprendre les termes de Marx. Et accessoirement, d’abord monument privé dans l’espace public, portant toujours le nom de son constructeur et premier propriétaire (à la différence de tous les monuments d’ancien régime cités par Michelet), elle illustre également l’article 17 de cette Déclaration des Droits de l’Homme élaborée par La Fayette et Jefferson, et adoptée à la fin d’août 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, etc. »
C’est par ces deux monuments, le fantomatique de la Révolution majuscule et le paradoxal de la révolution industrielle, que nous emprunterons les chemins de la Révolution.