Au pied


Dès le coin de la rue de Buenos Aires, vous aurez aperçu sur le pourtour du 1er étage, en lettres d’or, quelques noms : Goüin, Cail, Giffard, et en avançant Schneider… Il y en a, sur les quatre faces, soixante-douze. Vous n’y aurez vu ni Danton, ni Robespierre, ni Marat. Il n’y a pas là de révolutionnaires, ou plutôt si, dans leur domaine, beaucoup étant des savants, des inventeurs, et beaucoup des ingénieurs – entrepreneurs. Gouin, ce sont des infrastructures ferroviaires, des ouvrages d’art métalliques, une entreprise de travaux publics qui a maintenant pour nom Spie Batignolles. Cail, locomotives et charpentes de fer, se perpétue sous le nom de groupe Fives ; Schneider, on ne présente plus.

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Emplacement des noms inscrits sur la Tour Eiffel
© Blue Lion (2012)

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Détails des noms gravés sur la Tour Eiffel

Eiffel ne rend donc pas hommage à 1789 mais à ses pairs, à sa caste, les marxistes diront à sa classe sociale. Mais n’est-ce pas la même chose ? N’est-ce pas la bourgeoisie qui, de 89, a tiré les marrons du feu ? La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 (un mois avant le massacre du Champ-de-Mars) n’interdit-elle pas l’association et la coalition, c’est-à-dire le syndicat et l’arrêt de travail concerté ? Parmi les Droits de l’Homme, il y a le droit de propriété, pas le droit de grève.

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Photographe Gaspard-Félix Tournachon dit Nadar,
Portrait de Gustave Alexandre Eiffel (1888)

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Portrait de Gustave Eiffel sur les anciens billets français (200Francs)

En 1888, les ouvriers viennent, quatre ans plus tôt seulement, de retrouver leurs droits. Deux cents à deux-cent-cinquante ouvriers sont présents en permanence sur le chantier de la tour, qui durera vingt-six mois. Un tiers des 15 000 éléments de structure est riveté à chaud sur place, une équipe de quatre membres étant nécessaire pour chauffer le rivet grâce à un four portatif que l'on hisse avec soi, le mettre et le maintenir en place, enfin en marteler la tête. Une équipe de riveteurs répète ces opérations 250 à 300 fois par jour. Par bonheur, il n’y eut aucun accident mortel. Gageons que le contraire n’aurait même pas suffi à en immortaliser les victimes.

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Henri Rivière (1864-1951)
Ouvriers au travail sur la Tour Eiffel
(Paris, B.N.F.)

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Projet de la Tour Eiffel par l'un de ses principaux ingénieurs, Maurice Koechlin (1884),
(Family Maurice Koechlin, Emile Nouguier)

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Tour Eiffel  Montage de la partie inférieure sur les pylônes en charpente (7 décembre 1887)
Image parue dans La tour de 300 mètres, 1900

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Montage des piliers au-dessus du premier étage (15 mai 1888)
Image parue dans La tour de 300 mètres, 1900

Les ouvriers y sont payés à l’heure, c’est à dire moins l’hiver, où les journées ne font « que » 9 heures, que l’été où elles en font 12. La grève de septembre 1888 demande, pour compenser un peu, une augmentation horaire à la mesure de la diminution du jour. Le 20 septembre, pour mettre un terme au conflit, Eiffel accorde par écrit une augmentation de 15 cts de l’heure à l’entrée de l’hiver, assortie d’autres promesses orales. Le 19 décembre, il fait particulièrement froid depuis quelques jours, plusieurs ouvriers sont tombés malades, les autres, réunis au café du 135, rue d’Orsay (aujourd'hui quai Branly pour cette partie), leur local habituel, considèrent que la journée d’hiver de 9 heures, payée 10, est une des promesses verbales non tenues de septembre. Le 20 décembre, à 7h45, ils sont 140 à monter au sommet qui se situe alors à 210 mètres (les deux tiers de sa hauteur finale). On imagine la température à cette date, cette heure-là et cette hauteur, pour y tenir meeting. Au bout d’une heure, la grève est décidée, les monteurs éteignent les forges portatives, cinq délégués partent pour Levallois (la société y est au 42, rue Fouquet, devenue depuis rue Gustave Eiffel) rencontrer le patron, qui n’accordera rien.

Montons au 1er étage. A son inauguration, la tour était dépourvue d’ascenseurs : le président du Conseil s’était arrêté au premier étage ; Locroy, ministre du Commerce était monté à pied jusqu’au sommet, soit quelque 1 100 marches si l’on ajoute aux 700 toujours en service l’escalier hélicoïdal menant du 2e étage au sommet, démonté en 1983, mais dont on conserve un tronçon au 1er étage. C'est devant cet escalier que nous poursuivons la visite.

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