Deuxième étage


On a bien lu, l’Empire fut une république impériale ! Dans son décret du 28 Floréal An XII (18 mai 1804), le Sénat avait osé cet oxymore : « Article premier. Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d'Empereur des Français », tandis qu’à Notre-Dame, Napoléon prêtait le serment de préserver tous les acquis de la Révolution : « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes de biens nationaux, etc. »

En 1806, l’Empereur, en remplacement du pont de bateaux menant au Champ-de-Mars, décide de la construction d’un ouvrage en dur, à péage. Le 13 janvier 1807, il lui a trouvé un nom : Iéna. 

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Le Pont d'Iéna, initiative de Napoléon Bonaparte,
© Blue Lion (2012)

A l’autre extrémité du pont, sur la colline de Chaillot, dès la fin de 1810 et trois mois avant la naissance du prince héritier, le Roi de Rome, commencent les travaux de construction de son immense palais, du Kremlin dont rêve le père. « Ceux qui pourront se représenter », écriront plus tard Percier et Fontaine, et c’est aussi bien à vous, lecteurs de ce guide, que cette demande s’adresse, « un palais aussi étendu que celui de Versailles, occupant avec ses accessoires le rampant et le sommet de la montagne qui domine la plus belle partie de la capitale avec les moyens d’accès les plus faciles, n’hésiteront pas à penser que cet édifice aurait été l’ouvrage le plus vaste et le plus extraordinaire de notre siècle. »
Raté, le plus extraordinaire du XIXème siècle, ce sera la Tour Eiffel ! 

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Pierre Fontaine et Charles Perrier
Vue du Palais du Roi de Rome depuis le Champ-de-Mars
Source: Wikimedia

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Pierre Fontaine et Charles Perrier
Vue du Palais du Roi de Rome projet n. 38
Paris, Musée Carnavalet
Source: Wikimedia

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Pierre Fontaine et Charles Perrier
Vue du Palais du Roi de Rome
Un autre projet de Fontaine et Perrier pour le Palais de Napoléon
Source: Wikimedia

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Pierre Fontaine et Charles Perrier
Projet piur le Palais des Archives
Source: Wikimedia

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Pierre Fontaine et Charles Perrier,
Plan du Palais du Roi de Rome et des alentours
Paris: Bibliothèque historique de la Ville de Paris

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Le Palais du Trocadéro lors de l'Exposition Universelle de 1878
Imprimerie Pellerin et Cie à Épinal
Source: Wikimedia

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Le Palais du Trocadéro lors de l'Exposition Universelle de 1900
Detroit Publishing Co., United States Library of Congress
Source: Wikimedia

Le 15 août 1812, jour de l'anniversaire de l’Empereur, est posée la première pierre «entre le pont d’Iéna et le pont de la Concorde, d’un édifice destiné à recevoir toutes les archives de l’Empire, et devant contenir un emplacement de cent mille mètres cubes. Le palais sera conçu de manière que le quart de cet établissement puisse être utilisé dès que la construction en sera achevée, et que l’on puisse successivement procéder ainsi à la construction des autres quarts. Des espaces seront même réservés en forme de jardins afin que par la suite des temps on puisse doubler l’établissement, si cela devient nécessaire.» Napoléon a fait appel cette fois non plus aux architectes Percier et Fontaine mais à Cellerier.
Au flanc du palais des Archives, celui de l’Université regroupera les cinq Facultés établies en 1808, les services administratifs et le Rectorat, une école normale, une institution des Émérites, une salle pour la distribution des prix, une école des Beaux-Arts, une galerie pour l’exposition des tableaux et de grands ateliers pour les artistes. De l’autre côté du Champ-de-Mars, toujours le long de la Seine, s’élèvera une grande caserne de cavalerie. Enfin de part et d’autre de l’École militaire, un hôpital des armées répondra à une caserne d’infanterie.
La Tour Eiffel, que bien sûr l’Empereur n’avait pas imaginée – Encore que. N’a-t-il pas lancé à Caulaincourt, en pleine retraite de Russie: «C’est moi qui ai créé l’industrie française» –, se trouve ainsi l’œil de cette cité impériale de rêve au cœur de la capitale de l’Empire.

A l’arrivée des Cosaques, ou plus exactement des alliés, c’est le tsar Alexandre Ier, désireux de conserver une France forte dans l’équilibre européen, qui sauve le pont d’Iéna et la colonne Vendôme, tandis que Louis XVIII fait extirper du sol les moignons de murs du palais du Roi de Rome. Pour en effacer jusqu’au souvenir, il décide bientôt d’y commémorer la minuscule victoire de son neveu, le duc d’Angoulême, une prise de fortin devant Cadix : le Trocadéro. Une préfiguration du monument, en carton-pâte mais en grandeur réelle, sera tant moquée par les Parisiens qu’elle attachera au lieu pour cinquante ans ce sobriquet andalou, d’ailleurs demeuré dans la toponymie. Ainsi, pour l’édition de 1878, le palais des expositions sera-t-il celui « du Trocadéro », sur une colline rabotée entretemps par les travaux d’Haussmann.
Le palais suivant, pour l’Exposition de 1937, retrouva le nom ancien de Chaillot. On refusa aux frères Perret leur projet novateur et l’on se contenta, pour les deux ailes, d’un remploi des infrastructures du précédent. Au milieu, le bâtiment esquivait la confrontation architecturale avec la tour Eiffel et restait un créneau vide.
À défaut d’audace architecturale, le palais de Chaillot s’adresse à tous, littéralement, par des mots de Paul Valéry, comme un immense journal mural – « Choses rares ou choses belles, Ici savamment assemblées… » « … Ami n’entre pas sans désir ». La Déclaration universelle des droits de l’homme, bouclant la boucle, sera adoptée ici, le 10 décembre 1948, par une assemblée générale des Nations unies. 

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