« Les vertes Feuillantines »


Introduction

Il n’a pas besoin de dire qu’il aime Paris;
Paris est la ville natale de son esprit. (Les Misérables)

Cette promenade part sur les traces du jeune Victor Hugo, de son enfance passé aux Feuillantines (installation en juin 1809) jusqu’à son déménagement dans le nouveau quartier de la rue Jean Goujon, rive droite près de l’actuel Palais de la Découverte, en mai 1830. Cette période retrace la formation intellectuelle et spirituelle du poète jusqu’à son avènement comme chef du romantisme en France (la première d’Hernani a lieu le 25 février 1830). L’esprit d’Hugo est vraiment né à Paris, comme il l’écrira dans Les Misérables : il n’a pas besoin de dire qu’il aime Paris; Paris est la ville natale de son esprit. Nous ferons d’ailleurs souvent référence à ce grand roman, dans lequel Victor Hugo a mêlé au récit imaginaire de nombreux éléments autobiographiques.
Victor Hugo a très souvent parlé du Paris de sa jeunesse dans son Œuvre. C’est au cours de ces premières années de vie qu’il a appris à aimer Paris. Le couvent des Feuillantines et le Jardin du Luxembourg sont à jamais associé à son amour de Paris : 

Je te raconte aussi comment aux Feuillantines,   
Jadis tintaient pour moi les cloches argentines;   
Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,
Et qu’à dix ans parfois, resté seul à la brune,
Rêveur, mes yeux cherchaient les doux yeux de la lune,
Comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été.

(Novembre, Les Orientales, Gosselin et Bossange, 1829)

J’allais au Luxembourg rêver, ô temps lointain,
Dès l’aurore, et j’étais moi-même le matin.
Les nids dialoguaient tout bas, et les allées
Désertes étaient d’ombre et de soleil mêlées ;
J’étais pensif, j’étais profond, j’étais niais,
Comme je regardais, et comme j’épiais !
Qui ? La Vénus, l’Hébé, la nymphe chasseresse.
Je sentais du printemps, l’invisible caresse.

(Toute la vie d’un cœur, Toute la Lyre, Hetzel, 1888)

La maison rue des Feuillantines

Notre tour commence au 8 de la rue des Feuillantines, où se situait jadis le couvent du même nom.

Sophie Hugo vient habiter une dépendance du couvent des Feuillantines à deux reprises avec ses trois fils (Abel, né en novembre 1898; Eugène, né en septembre 1800 et Victor né en février 1802) entre 1809 et 1813 : le premier de juin 1809 à mars 1811, le second d'avril 1812 à décembre 1813. Entre les deux séjours, le jeune Victor Hugo, accompagné de sa mère et de ses deux frères, est allé rejoindre son père à Madrid. Le père d'Hugo, le général Léopold Hugo, a fait une brillante carrière militaire sous l'Empire, sous les ordres de Joseph Bonaparte, le frère aîné de Napoléon, qui fut roi de Naples puis roi d'Espagne. C'est donc en ce lieu paisible que le jeune Hugo passe cette période tumultueuse de notre Histoire, correspondant aux Guerres de l'Empire

Rien de plus tranquille que cette haute masure fleurie, jadis couvent, maintenant solitude, toujours asile. Le tumulte impérial y retentissait pourtant. Par intervalles, dans ces vastes chambres d'abbaye, dans ces décombres de monastère, sous ces voûtes de cloître démantelé, l'enfant voyait aller et venir, entre deux guerres dont il entendait le bruit, revenant de l'armée et repartant pour l'armée,  un jeune général qui était son père et un jeune colonel qui était son oncle ; ce charmant fracas paternel l'éblouissait un moment ; puis, à un coup de clairon, ces visions de plumets et de sabres s'évanouissaient, et tout redevenait paix et silence dans cette ruine où il y avait une aurore.
(Le Droit et la Loi, Actes et Paroles I, Avant l'exil,
Michel Lévy, 1875).

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Sophie Trébuchet

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Joseph-Léopold Sigisbert Hugo, École française XIX siècle, Maison de Victor Hugo, Paris
Crédits: Wikimedia

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Victor Hugo adolescent, auteur inconnu, dessin, XIX siècle
Crédits: Wikimedia

Lorsque Sophie Hugo découvrit ce logis à louer (elle habitait alors avec ses 3 garçons un logis de la rue Saint-Jacques en face de l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas qui comportait un petit jardin), elle n'hésita pas, car elle cherchait un lieu d'habitation susceptible de cacher le général Victor de Lahorie recherché par la police de l'empereur (qui tolérait sa liberté à condition qu'il ne se montrât pas). Lahorie est souvent présenté comme l'amant de Sophie Hugo. Jean-Marc Hovasse, le dernier biographe de Victor Hugo, est très prudent sur le sujet. Pour lui, aucun document n'atteste d'une liaison amoureuse entre la mère du poète et le général, même si une sympathie indéniable les liait entre eux. Lahorie a favorisé le début de la carrière militaire de Léopold Hugo, mais il est surtout le parrain du poète et il lui a d'ailleurs donné son prénom. Victor de Lahorie est une personnalité qui a marqué profondément le jeune Victor Hugo qui s'en inspirera pour composer le personnage de Jean Valjean. Ce général finira fusillé en octobre 1812, suite à sa participation au complot du général Malet contre Napoléon. Les enfants Hugo ne tardent pas à découvrir la cachette du proscrit (au fond du jardin, dans la chapelle en ruines) qui se fait appeler M. de Courlandais. Celui-ci prend alors ses repas avec la famille et enseigne Tacite au jeune Victor. Mais le 30 décembre 1810, en plein dîner, on vient sonner à la porte… C'est la Police de Napoléon qui vient l'arrêter. Mis au secret, il sera libéré en octobre 1812, juste le temps pour lui de participer au complot Malet et d'être exécuté une semaine plus tard, le 29 octobre. Ce personnage va devenir un modèle pour le jeune poète en herbe. Quelle vie aventureuse et dangereuse a-t-il mené! Il va symboliser aux yeux du poète la liberté, qu'il défendra plus tard contre vents et marées : Ce n'est pas vainement que j'ai eu, tout petit, de l'ombre de proscrit sur ma tête, et que j'ai entendu la voix de celui qui devait mourir dire ce mot du droit et du devoir : Liberté (Le Droit et la Loi, Actes et Paroles I, Avant l'exil).

Le propriétaire des Feuillantines, M. Lalande, avait acheté le couvent sous la Révolution. Il en occupait une partie et louait l'autre (principalement à de vieilles dames et à des veuves de l'aristocratie), comme l'indique Mme Hugo dans Victor Hugo raconté par Adèle Hugo :
Ces Feuillantines de construction monacale, avaient été dans leur origine couvent de femmes. La Révolution était venue, la guillotine avait pris quelques-unes de ces femmes, les autres avaient fui où elles avaient pu, toutes s'étaient évanouies. Le monument était devenu bien national. Un nommé Lalande l'avait acheté, l'avait sécularisé, en occupait une partie et avait mis l'autre en location.

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Le bâtiment des Feuillantines

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Pierre-Antoine Demachy (1723-1807)
Église des Feuillantines 1780

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Le jardin des Feuillantines

La physionomie du lieu a bien changé. A l'époque de l'enfance de Victor Hugo, il faut se figurer, à la place de l'actuelle rue des Feuillantines, un cul de sac étroit qui se terminait par une grille située vers l'emplacement de la plaque commémorative (au n° 8 actuel). Si l'on franchissait la grille, on se trouvait devant une vaste cour où s'élevaient les restes d'une église, plusieurs corps de bâtiment datant du 17e siècle, et un jardin qui servit de terrain de jeux au jeune Victor : Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, courant, riant avec mes frères dans la grande allée verte de ce jardin où ont coulé mes premières années, ancien enclos de religieuses que domine de sa tête de plomb, le sombre dôme du Val-de-Grâce (Le Dernier jour d'un condamné). Dans ce jardin, reposaient ici et là quelques vestiges du couvent qui alimenteront l'imaginaire du jeune Victor : On voyait sur les murs, parmi les espaliers vermoulus et décloués, des vestiges de reposoirs, des niches de madones, des restes de croix, et çà et là cette inscription : "Propriété nationale". […] et je considérais à travers les branches la vieille chapelle dont les vitres défoncées laissaient voir la muraille intérieure bizarrement incrustée de coquillages marins. Les oiseaux entraient et sortaient par les fenêtres (Le Droit et la Loi, Actes et Paroles I, Avant l'exil). Et, au milieu du jardin, un vieux puisard desséché, vaste bouche d'ombre dans laquelle les trois enfants y virent des choses fantastiques… Ils y guettèrent notamment “le sourd”, un monstre inventé par eux et dont Victor Hugo parlera dans Les Misérables (au début de la 3ème partie du roman, Marius, dans un chapitre consacré au gamin de Paris) : monstre fabuleux qui a des écailles sous le ventre et qui n'est pas un lézard, qui a des pustules sur les os et qui n'est pas un crapaud, qui habite les trous des vieux fours à chaud et des puisards desséchés, noir, velu, visqueux, rampant, tantôt lent, tantôt rapide, qui ne crie pas, mais qui regarde, et qui est si terrible que personne ne l'a jamais vu […]. Ce jardin a donc été pour le jeune Hugo, un lieu de jeux où il a pu développer son imaginaire. Dans un poème des Voix intérieures (Renduel, 1837) dédié à son frère Eugène disparu à l'âge de 36 ans, après une lente agonie vers la folie (les premier signes sont apparus dès l'été 1818, c'est à dire bien avant le mariage de Victor qui se situe quatre ans plus tard), Hugo se souviendra de ces jeux d'enfants partagés avec Eugène dans le jardin des Feuillantines :

[…] Tu dois te souvenir des vertes Feuillantines,
Et de la grande allée où nos voix enfantines,
Nos purs gazouillements,
Ont laissé dans les coins des murs, dans les fontaines,
Dans le nid des oiseaux et dans le creux des chênes,
Tant d'échos si charmants! […]

Même écho dans cet autre poème des Voix intérieures, écrit le jour de la mort d'Eugène, le 20 février 1837 : 

Dans ce jardin antique où les grandes allées
Passent sous les tilleuls si chastes, si voilées
Que toute fleur qui s'ouvre y semble un encensoir,
Où, marquant tous ses pas de l'aube jusqu'au soir,
L'heure met tour à tour dans les vases de marbre
Les rayons du soleil et les ombres de l'arbre,
Anges, vous le savez, oh ! comme avec amour,
Rêveur, je regardais dans la clarté du jour
Jouer l'oiseau qui vole et la branche qui plie,
Et de quels doux pensers mon âme était remplie,
Tandis que l'humble enfant dont je baise le front,
Avec son pas joyeux pressant mon pas moins prompt,
Marchait en m'entraînant vers la grotte où le lierre
Met une barbe verte au vieux fleuve de pierre !

Dans un autre poème, Victor Hugo avoue avoir eu dans son enfance trois maîtres : un jardin, un vieux prêtre et ma mère. Le jardin, on vient d'en parler. Quant au vieux prêtre, il s'agit de La Rivière qui fut son instituteur dans une école de la rue Saint-Jacques (sans doute située au n° 225, près de l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas). Ce M. La Rivière, a-t-il été prêtre, comme l'indique Hugo ? Peut-être... A cette époque de nombreux ex-prêtres sont devenus instituteurs. Ce qui est sûr c'est l'attachement du poète pour La Rivière. Lorsqu'il prendra une fausse identité pour se cacher, en décembre 1851 après le coup d'état de Louis Bonaparte, il choisira le nom de M. Rivière, en souvenir de son ancien maître d'école. C'est notamment grâce à lui qu'il découvrit Virgile qui eut une grande influence sur son Œuvre. Signalons enfin que cet instituteur et sa femme avaient de l'amitié pour la famille Hugo. Pendant le séjour de celle-ci en Espagne, le couple La Rivière a entretenu leur appartement des Feuillantines, ce qui facilita leur retour à cette adresse en avril 1812.
Et enfin son troisième maître, sa mère. Sophie Trébuchet est née à Nantes, le 19 juin 1772. Née dans la patrie de la chouannerie, elle n'en épouse pas moins un “bleu”. Mais cette union avec le capitaine Hugo la déçoit rapidement, elle qui rêve de grandeur. Elle ne supporte pas la sensualité débordante de son mari et son côté grivois. Léopold Hugo, très épris au début de sa liaison, va se lasser de l'attitude revêche de sa femme. Il se tournera alors vers Catherine Thomas, une femme dont il est l'amant depuis 1803 et qui deviendra sa seconde épouse en 1821. Sophie Trébuchet est une femme secrète et sévère, qui exerce sur ses enfants une grande autorité non dénuée de tendresse. Adèle Hugo a rendu hommage à sa belle-mère : c'était une mère calculant tout, très ferme et qui veillait. […] Elle tenait solidement la bride.

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Louis Boulanger, Adèle Foucher

Le dimanche, aux trois garçons Hugo, viennent se rajouter deux autres compagnons de jeu : Victor et Adèle Foucher, dont les parents sont des amis de Léopold et de Sophie Hugo. Au début, les jeunes garçons sons sans pitié avec Adèle qui doit subir les sévices de ses compagnons. Mais, lorsque les Hugo reviennent habiter les Feuillantines en avril 1812, après un intermède en Espagne, Eugène et Victor prennent conscience de la beauté de la jeune Adèle. Quelques années plus tard, Eugène Hugo, jaloux, ne supportera pas le mariage de son frère avec Adèle (le 12 octobre 1822, Victor a 20 ans et Adèle 19). Il plongera alors inexorablement dans la folie avant de s'éteindre le 5 mars 1837, à 36 ans. Quant à Victor Hugo, il commence à remarquer celle qui deviendra sa femme : 

Il y a une jeune fille dans le solitaire jardin. La petite espagnole avec ses grands yeux et ses grands cheveux, sa peau brune et dorée, ses lèvres rouges et ses joues roses […]. La petite fille est devenue jeune fille. […] Et elle se mit à courir devant moi avec sa taille fine comme le corset d'une abeille et ses petits pieds qui relevaient sa robe jusqu'à mi-jambe […] Je l'atteignis près du vieux puisard en ruine […] et je la fis assoir sur un banc de gazon […] nos têtes se touchaient, nos cheveux se mêlaient, nos haleines peu à peu se rapprochèrent, et nos bouches tout à coup. (Le Dernier Jour d'un condamné, Gosselin, 1829.)

Et puis enfin, aux Feuillantines, le jeune Victor découvre la Bible. La Bible, c'est mon livre proclamera-t-il dans la préface de La Légende des siècles. Il est vrai que Victor Hugo est un auteur épique qui aura constamment à l'esprit ce livre retraçant la grande épopée du peuple de Dieu. Son Œuvre est remplie de références bibliques. Dans le poème Aux Feuillantines, contenu dans Les Contemplations (Hetzel, 1856), il raconte la découverte de ce merveilleux livre qui l'initie à la prière et au divin :

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
Sur le haut d'une armoire un livre inaccessible.

Nous grimpâmes un jour jusqu'à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fîmes pour l'avoir,
Mais je me souviens bien que c'était une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d'encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire!

Victor Hugo va revenir aux Feuillantines quelques années plus tard, lorsqu'il rendra visite à Lamennais (1782-1854) qui y loge depuis 1815 (dans une autre dépendance que celle où vécurent les Hugo). Cette première rencontre avec ce petit homme chétif, bilieux de visage, aux grands beaux yeux inquiets, et dont le nez dissimulait presque le menton (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo) a eu lieu en mars ou en juillet 1821. Pourquoi cette rencontre ? Parce que, dans les mois qui précèdent son mariage (qui aura lieu en octobre 1822), Victor Hugo, alors ultra-royaliste et donc défenseur de l'Autel, songe à entrer dans le giron de l’Église catholique. En plus de ces raisons politiques, il cherche aussi à se faire bien voir des Foucher (les parents d'Adèle) qui sont de fervents pratiquants du culte catholique. Mais Victor Hugo ne franchira jamais le pas. Il va, tout au long de sa vie, se construire sa propre religion : croire à Dieu, oui, mais hors de l’Église catholique et de toute autre religion institutionnelle. Dieu est, pour Hugo, une présence incessante (il écrira dans Les Misérables : Dieu est derrière tout, mais tout cache Dieu)

Enfin et surtout, lors de cette entrevue, Hugo demande à l'abbé Lamennais un billet de confession, une pièce indispensable pour son mariage religieux (le divorce entre Lamennais et l'Eglise date de 1836). Celui-ci le lui donnera sans le confesser! Et puis, Lamennais va l'aider dans ses débuts littéraires. Ainsi, lors de la parution de son premier recueil de poèmes en juin 1822, Odes et Poésies diverses (chez Pélicier), il intervient auprès du Drapeau blanc, un journal royaliste comme son nom l'indique, pour lui faire obtenir un article sur son recueil.

Voici le témoignage de George Sand qui eut sa résidence parisienne non loin d'ici, entre juin 1864 et mai 1868 – elle habita le 97, rue des Feuillantines, correspondant aujourd'hui au 90, rue Claude Bernard - :

Hélas ! je regarde souvent par ma fenêtre les vestiges de ces jardins des Feuillantines où vous avez été élevé et où l'on a bâti des maisons neuves. On a respecté de vieux murs couverts de lierre. Des arbres qui vous ont prêté leur ombre, quelques-uns sont encore debout, me dit-on. L'hiver les dépouille à cette heure, et je ne sais où se sont réfugiés les oiseaux. Rien ne chante plus dans ce coin qui abrita et charma votre enfance. Au dehors, dans les vallons mystérieux qu'on trouve encore non loin de Paris, la gelée a mordu les ramées. Il n'y a plus d'autres chansons des bois que le grésillement des feuilles tombées que le vent balaie. Dans les rues, il n'y a plus de chansons non plus.  (Nouvelles lettres d'un voyageur. Lettre II, Calmann-Levy, 1877)

Finissons avec les vertes Feuillantines, par ce poème de Victor Hugo, écrit après l'exil. Le "vieil" Hugo se rend sur les lieux de son enfance en janvier 1871. Paris est alors assiégé et les bombes tombent sur les Feuillantines de son enfance... C'est l'occasion pour le poète d'une méditation mélancolique sur le temps qui passe :

Vieillir, c'est regarder une clarté décrue.
Un jardin verdissait où passe cette rue.
L'obus achève, hélas, ce qu'a fait le pavé.
Ici les passereaux pillaient le sénevé,
Et les petits oiseaux se cherchaient des querelles ;
Les lueurs de ce bois étaient surnaturelles ;
Que d'arbres ! quel air pur dans les rameaux tremblants !
On fut la tête blonde, on a des cheveux blancs ;
On fut une espérance et l'on est un fantôme.
Oh ! comme on était jeune à l'ombre du vieux dôme !
Maintenant on est vieux comme lui. Le voilà.
Ce passant rêve. Ici son âme s'envola
Chantante, et c'est ici qu'à ses vagues prunelles
Apparurent des fleurs qui semblaient éternelles.
Ici la vie était de la lumière ; ici
Marchait, sous le feuillage en avril épaissi,
Sa mère qu'il tenait par un pan de sa robe.
Souvenirs ! comme tout brusquement se dérobe !
L'aube ouvrant sa corolle à ses regards a lui
Dans ce ciel où flamboie en ce moment sur lui
L'épanouissement effroyable des bombes.
Ô l'ineffable aurore où volaient des colombes !
Cet homme, que voici lugubre, était joyeux.
Mille éblouissements émerveillaient ses yeux.
Printemps ! en ce jardin abondaient les pervenches,
Les roses, et des tas de pâquerettes blanches
Qui toutes semblaient rire au soleil se chauffant,
Et lui-même était fleur, puisqu'il était enfant.

(Une bombe aux Feuillantines, L’année terrible, 1872)

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