Jardin du Luxembourg
Le Jardin du Luxembourg peut être rejoint par la rue de l’Odéon et la rue Corneille. Rousseau s’y est souvent promené lorsqu’il habitait à côté, rue des Cordiers (rue aujourd'hui disparue et qui était située près de la Sorbonne) en 1742/1743.
Un passage des Confessions, mentionne ses promenades dans ce jardin, situé en plein cœur du Quartier des écoles et qui fut créé en 1610, deux ans avant la construction du palais qui abrite aujourd’hui le Sénat. Rousseau a alors trente ans et mène à la fois une vie de patachon et d’étudiant: «[…] j’avais trente ans, et je me trouvais sur le pavé de Paris, où l’on ne vit pas pour rien. […] j’avais besoin de reprendre haleine. Au lieu de me livrer au désespoir, je me livrai tranquillement à ma paresse et aux soins de la Providence ; et, pour lui donner le temps de faire son œuvre, je me mis à manger, sans me presser, quelques louis qui me restaient encore, réglant la dépense de mes nonchalants plaisirs sans la retrancher, n’allant plus au café que de deux jours l’un, et au spectacle que deux fois la semaine. […] La sécurité, la volupté, la confiance avec laquelle je me livrais à cette vie indolente et solitaire, que je n’avais pas de quoi faire durer trois mois, est une des singularités de ma vie et une des bizarreries de mon humeur. […] On n'imaginerait pas à quoi j'employais ce court et précieux intervalle qui me restait encore avant d'être forcé de mendier mon pain : à étudier par cœur des passages de poètes, que j'avais appris cent fois et autant de fois oubliés. Tous les matins, vers les dix heures, j'allais me promener au Luxembourg, un Virgile ou un Rousseau dans ma poche, et là, jusqu'à l'heure du dîner, je remémorais tantôt une ode sacrée et tantôt une bucolique, sans me rebuter de ce qu'en repassant celle du jour je ne manquais point d'oublier celle de la veille. Je me rappelais qu'après la défaite de Nicias à Syracuse, les Athéniens captifs gagnaient leur vie à réciter les poèmes d'Homère. Le parti que je tirai de ce trait d'érudition, pour me prémunir contre la misère, fut d'exercer mon heureuse mémoire à retenir tous les poètes par cœur.»
A l’époque de Rousseau, les allées du Jardin du Luxembourg étaient bien entendu le rendez-vous des étudiants et des flâneurs, mais aussi celui des nouvellistes. L’historien et conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal Frantz Funck-Brentano (1862-1947), dans un article intitulé Le jardin du Luxembourg et ses nouvellistes, paru dans un ouvrage consacré au VIème arrondissement de Paris, nous fait revivre ce temps des Nouvellistes: «Dans les principales villes de province, et d’une manière plus importante à Paris, s’étaient constitués des groupes de "nouvellistes" qui recueillaient les nouvelles du jour, se les transmettaient, les discutaient, non sans violence parfois. Ils étaient en correspondance avec des centres d’information, non seulement en France, mais à l’étranger parfois.
A Paris, les principaux centres de nouvellistes s’étaient formés dans les lieux publics : aux Tuileries, au Palais-Royal, au cloître des Cordeliers, dans les jardins de l’Arsenal, enfin dans les allées du Luxembourg. Et ce qu’il y a de très intéressant c’est que chacun de ces groupes en était arrivé à prendre un caractère particulier. […] La spécialité des nouvellistes du Luxembourg était la discussion de nouvelles artistiques et littéraires […] Parmi ces nouvellistes du Parnasse quotidiennement réunis au Luxembourg, les «chenilles de théâtre» - pour reprendre le mot du temps – étaient sans doute les personnages les plus importants. Avouons d’ailleurs que nos Aristarques, qui tiennent d’une main aussi ferme qu’indépendante, le sceptre de la critique, n’appartiennent pas tous à une condition sociale très relevée; car si l’on rencontre dans leurs rangs des clercs et des avocats, des libellistes et des poètes, on y voit également des savetiers et des maîtres tailleurs, ce qui n’est d’ailleurs pas pour dire que leur jugement ne valût pas celui de leurs confrères. « Un chétif rôtisseur qui vient de la Huchette… » n’hésitera pas, lui aussi, à palabrer sur la manière dont l’auteur a respecté la règle des trois unités. Ce qui ne doit pas étonner à une époque où des épiciers et des coiffeurs font paraître des pamphlets sur les affaires du temps. Le type de "Figaro" n’est pas une ingénieuse invention de Beaumarchais, il est bien de son époque.» (Le VIème arrondissement de Paris à travers les âges, Flammarion, 1937)
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, les allées du jardin du Luxembourg étaient donc sillonnées par les critiques du temps, c'est-à-dire par les Sainte-Beuve, les Faguet de cette époque. Ils se retrouvaient également dans les cafés qui avoisinaient le jardin. Funck-Brentano, dans un ouvrage écrit avec Paul d’Estrée (Les Nouvellistes, Hachette, 1905), les évoque notamment au café Maugis, situé alors rue Saint-Séverin, lorsqu’il cite un rapport qui dénonce ces réunions qui avaient lieu le dimanche aux heures des messes : « Il se tient chez lui [chez Maugis] depuis neuf heures du matin jusques aux heures indues grande assemblée d'avocats, procureurs, libraires et nouvellistes, qui y montrent et lisent toutes sortes de libelles diffamatoires. On y parle hautement de toutes sortes d'affaires d'Etat, de finances et étrangères, vérifiées et assurées par les libraires qui ont correspondance en Angleterre, Hollande et Génève ». C’est dans ce même café que Rousseau est souvent venu jouer aux échecs lorsqu’il habitait le Quartier latin: «J’avais un autre expédient non moins solide dans les échecs, auxquels je consacrais régulièrement, chez Maugis, les après-midi des jours que je n’allais pas au spectacle. Je fis là connaissance avec M. de Légal, avec un M. Husson, avec Philidor, avec tous les grands joueurs d’échecs de ce temps-là, et n’en devins pas plus habile. Je ne doutai pas cependant que je ne devinsse à la fin plus fort qu’eux tous […]» (Les Confessions)