Le café de la Régence


Le premier café de la Régence était situé à l’emplacement du n°155 de la rue Saint-Honoré. Fondé en 1681, il ne prit le nom de Café de la Régence qu’en 1718 (sous la Régence du neveu de Louis XIV). Il sera déplacé au n°161 en 1854, au moment des « Grands Travaux d’Haussmann ».

A Paris, Rousseau a souvent joué aux échecs dans ce café que Diderot présente comme un haut lieu de ce jeu : « Si le temps est trop froid ou trop pluvieux, je me réfugie au café de la Régence. Là, je m’amuse à voir jouer aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu ; c’est chez Rey [propriétaire du café] que font assaut : Legal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot; qu’on voit les coups les plus surprenants et qu’on entend les plus mauvais propos ; car si l’on peut être homme d’esprit et grand joueur d’échecs comme Légal, on peut être aussi un grand joueur d’échecs et un sot comme Foubert et Mayot. » (Le neveu de Rameau, Plon, 1891)

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D'après M. Horsin-Déon
Café de la Régence, grand tournoi d'échecs
Dessin (19ème siècle)

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Vue intérieure du Café de la Régence (fin 19e début 20e), illustration de l'ouvrage de J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Édition de 1963

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Vue extérieure du Café de la Régence (fin 19e début 20e), illustration de l'ouvrage de J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Édition de 1963

Au café de la Régence, Rousseau joua aux échecs, notamment contre Philidor – compositeur d'une vingtaine d'opéras, et considéré comme le meilleur joueur d'échecs de son temps – et contre Diderot qu’il battait régulièrement. Certains prétendent que la première rencontre avec ce dernier se serait déroulée ici, sans doute en 1742. C’est Daniel Roguin, un négociant Suisse avec qui Rousseau sympathisa dès son arrivée à Paris durant l’été 1742, qui l’aurait présenté à Diderot. Les deux hommes vont tout de suite nouer des liens d'amitié. Issus du même milieu (l’un est fils d’horloger et l’autre, fils de coutelier), ils partagent les mêmes goûts pour la musique, le théâtre, les échecs, et tous deux raffolent des discussions où l’on refait le monde. Parisien depuis déjà une quinzaine d’années, Diderot, qui a pourtant un an de moins que Rousseau, est plus mature. C’est surtout lui qui parle et Rousseau qui écoute…

Raymond Trousson, biographe des deux philosophes, parle des débuts de leur relation: « Le savoir de Diderot, son éloquence, sa conviction rayonnante l’éblouissent. [Rousseau] le consulte sur ses décisions, sur ses projets, bientôt sur ses écrits. Son intelligence, ardente mais encore indécise, est fascinée par celle de Diderot, plus ferme et plus exercée. Timide, introverti, il vit avec lui un perpétuel bouillonnement d’idées, que son ami lui prêche avec une incomparable ferveur. A force de l’écouter, il se persuade qu’ils se ressemblent, qu’ils partagent les mêmes idées. »

Mais très vite leurs opinions divergentes viennent compromettre cette amitié. Diderot va renier son passé catholique pour devenir partisan d’un matérialisme athée, alors que Rousseau ne reniera jamais sa foi en Dieu. Toutefois, dans Les Rêveries du promeneur solitaire (3ème promenade), Rousseau reconnaîtra qu’au contact de Diderot et de ses amis, il fut ébranlé dans ses convictions, mais sans jamais adopter leurs idées : « Je vivais alors avec des philosophes modernes qui ne ressemblaient guère aux anciens. Au lieu de lever mes doutes et de fixer mes irrésolutions, ils avaient ébranlé toutes les certitudes que je croyais avoir sur les points qu’il m’importait le plus de connaître : car, ardents missionnaires d’athéisme, et très-impérieux dogmatiques, ils n’enduraient point sans colère, que sur quelque point que ce pût être, on osât penser autrement qu’eux.  Je m’étais défendu souvent assez faiblement par haine pour la dispute, et par peu de talent pour la soutenir;  mais jamais je n’adoptai leur désolante doctrine, et cette résistance, à des hommes aussi intolérants […], ne fut pas une des moindres causes qui attisèrent leur animosité.
Ils ne m’avoient pas persuadé, mais ils m’avoient inquiété. Leurs arguments m’avoient ébranlé, sans m’avoir jamais convaincu ; je n’y trouvais point de bonne réponse, mais je sentais qu’il y en devait avoir. Je m’accusais moins d’erreur, que d’ineptie, et mon cœur leur répondait mieux que ma raison.
»

Sur d’autres sujets importants leurs divergences étaient également de taille. Rousseau, dès son Discours sur les sciences et les arts, va dénoncer la civilisation comme un leurre : « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. A l’inverse, Diderot a foi dans le progrès. Il croit en l’instruction et en la raison pour parvenir à un monde meilleur : Que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux. » (Article de l'Encyclopédie, 1751). 

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Jean-Honoré Fragonard (1732-1806)
Denis Diderot, écrivain
Paris, Musée du Louvre

Cette amitié se rompit officiellement avec le silence de Diderot, à la suite de la dernière lettre que lui adresse Rousseau en mars 1758. La brouille ne cessera alors de s’accentuer. Mais au-delà des propos amers et mêmes féroces qu’écriront alors les deux anciens amis, on peut percevoir des regrets sincères chez l’un comme chez l’autre: «J'avais un Aristarque [grammairien grec à qui l’on doit l’édition critique de référence de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère] sévère et judicieux, je ne l'ai plus, je n'en veux plus; mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus encore à mon cœur qu'à mes écrits», écrit Rousseau dans la Lettre à d'Alembert sur les spectacles, et dans l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778), Diderot avoue : «Demandez à un amant trompé la raison de son opiniâtre attachement pour une infidèle, et vous apprendrez le motif de l'opiniâtre attachement d'un homme de lettres pour un homme de lettres d'un talent distingué

Signalons que Diderot, qui habita la rive gauche une grande partie de sa vie, a eu sa dernière adresse non loin d’ici, au 37, rue de Richelieu. Il n’eut guère le temps de jouir de son nouveau quartier car il mourut 13 jours après son emménagement, le 31 juillet 1784.

Rousseau, revenu à Paris en juin 1770, loge rue Plâtrière, comme on l’a vu. Toujours attiré par les échecs, il va reprendre ses habitudes en fréquentant le café de la Régence. Nous en avons un écho avec cette lettre du 10 juillet 1770 de Jacob-Henri Meister, fils d’un pasteur suisse et qui succéda à Grimm à la tête de la revue Correspondance littéraire : « Son arrivée à fait événement. Il a été deux ou trois jours de suite au café de la Régence pour y jouer aux échecs. Dès que la nouvelle en a été répandue dans Paris, ce café est devenu un spectacle. »

Pour fuir cette popularité, Rousseau deviendra un client de moins en moins assidu.

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