L'Hôtel de Sens
Le fait de pouvoir le contempler, s’y promener, ou y pénétrer - car il abrite maintenant la bibliothèque Forney - est déjà miraculeux en soi!
En effet, cet édifice de style gothique flamboyant est l’un des seuls témoignages parisiens (avec l’hôtel de Cluny) de l’architecture civile médiévale.
Il nous rappelle le fait que la ville de Paris fut, jusqu’en 1622, sous la juridiction religieuse de l’archevêché de Sens. L’un de ses prélats les plus célèbres était Tristan de Salazar (il officia de 1474 à 1519), qui y élit domicile. Avec un goût très prononcé pour le faste, il fit reconstruire la vieille demeure qui se trouvait là. (On lui doit également de grands travaux de rénovation de la Cathédrale de Sens.)
On peut ainsi admirer les deux corps de logis le long des rues du Figuier et de l’Hôtel-de-Ville. Sur la première, la façade porte de magnifiques tourelles en encorbellement, soulignées de nervures et de toits en poivrière, ainsi qu’un pignon. Une troisième tourelle surveille la rue de l’Hôtel-de-Ville, au propre comme au figuré, car ces petites tours permettaient commodément d’avoir une vue aisée sur les rues alentour et de pouvoir protéger l’édifice. Les pinacles et les lucarnes agrémentent encore de leur dentelle de pierre, en forme de flammèches (d’où le vocable de flamboyant), l’ensemble de l’édifice.
C’est en ce lieu qu’un peu plus tard, en 1528, les idées du moine Luther furent condamnées lors d’un concile de l’archevêché visant à réaffirmer en France la prééminence du Pape et de l’Église catholique romaine.
Enfin, on ne peut quitter ce lieu sans songer au destin très particulier que connut la reine Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et d’Henri II, et première épouse d’Henri IV. Elle séjourna ici lorsqu’elle fut enfin autorisée à revenir à Paris après un long exil dû à son ralliement à la ligue catholique. La Reine, âgée de 47 ans, recevait là ses amants, et l’un d’entre eux Gabriel Dat de Saint-Julien, fut tué ici même, d’un coup de pistolet, le 5 Avril 1606, par un autre jeune homme de la suite de la souveraine. Celle-ci partit ensuite s’installer Faubourg Saint-Germain.
Lorsque Paris atteint ensuite le statut d’archevêché, les archevêques sénonais délaissèrent la demeure, lui préférant bien souvent leurs propres hôtels individuels.
C’est ainsi qu’en 1689, l'hôtel devint le siège des célèbres « Courriers pour Lyon », voitures et attelages confortables (huit personnes pouvaient en effet y voyager, ce qui constituait une belle avancée dans l’histoire du voiturage!).
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'hôtel est transformé en usine, témoignant à son tour de ce Marais pouilleux et industrieux que nous évoquions Place des Vosges. Il accueille en effet à cette époque le siège et les ateliers de la confiturerie Saint-James.
Enfin on peut remarquer au dessus de son tympan un impact curieux: il s’agit d’un boulet de canon tiré depuis la Bastille lors des Trois Glorieuses, journées révolutionnaires de 1830 qui mirent un point final à la monarchie absolue française.