Chez les Stein
58, rue Madame
Dans cet immeuble, qui héberge un temple protestant, habitaient Michael (1865-1938) et Sarah Stein (1870-1953). Sarah Stein était d’ailleurs très engagée dans la Christian science Church.
En effet, après Léo et Gertrude Stein, leur frère aîné Michael, sa femme Sarah et leur fils Allan viennent les rejoindre à Paris en 1904 et s’installent à leur tour à Montparnasse dans l’immeuble du 58, rue Madame. Dès 1908, Sarah fréquente l’Académie de Matisse ; de l’élève elle devint rapidement une amie proche. Elle rédigeait ses notes sur la peinture pendant qu’elle assistait à ses cours. Avec son mari, ils vont assembler une belle collection de tableaux, dont en grande partie des Matisse. Le samedi soir à 18 heures, ils avaient pour habitude d’accueillir des amis peintres, écrivains, poètes, mécènes dans leur salon artistique et littéraire; puis à 21 heures, le cortège ainsi formé partait vers l’atelier des Stein, 27 rue de Fleurus.
Revenez sur vos pas, puis tournez à droite :
Au 35, rue de Fleurus habiteront la femme et le fils de l’auteur américain Ernest Hemingway, Hadley Hemingway et Bumby, après la séparation du couple en 1926.
27, rue de Fleurus
L’écrivain et mécène d’art moderne Gertrude Stein arrive des États-Unis peu de temps après son frère Léo, lui-même peintre et critique d’art. En 1903, ils aménagent un petit pavillon de deux étages relié à un atelier qu’on atteint en traversant la cour intérieure. Dans un premier temps, Léo se sert de l’atelier pour sa propre peinture, mais très vite, le pavillon se transforme en galerie d’art moderne, et les murs se couvrent de tableaux que Léo et Gertrude achètent à la jeune génération de peintres encore méconnus du grand public. Ils dépensent sans compter pour des peintres tels que Picasso, Matisse, Gris, Braque qui font scandale partout ailleurs.
Ayant pris l’habitude d’inviter les artistes, les poètes et écrivains de leur entourage, leur appartement devient rapidement un salon mondain, d’abord artistique dans les années 1910, puis littéraire pendant les années 1920-1930. C’est à l’époque Léo qui mène les conversations. On aime l’écouter exposer ses théories sur l’art moderne, l’entendre expliquer des œuvres qui semblent encore énigmatiques.
Dès 1913, au départ de Léo, Gertrude prend la relève des soirées ainsi que la parole. Dans Paris est une fête (1964), Hemingway décrit le despotisme de Gertrude et remarque son machisme : elle ne parlait qu’avec les artistes et les écrivains, tandis que sa compagne Alice devait se contenter de parler aux épouses. En 1912, Gertrude rencontre Alice B. Toklas qui sera sa compagne durant trente ans. À cette époque Gertrude commence à se brouiller avec son frère Léo, qui n’apprécie pas son style d’écriture (notamment dans Les Américains d’Amérique, écrit en 1906 et publié en 1925) et qui en plus ne s’entend pas avec Alice. Il décide ainsi de quitter Paris en 1913 pour s’installer à Florence, emportant avec lui la moitié de la collection qu’il a pu établir avec sa sœur. Il emmène les Renoir, Manet, Toulouse-Lautrec, quelques Matisse, et Gertrude garde les Picasso.
Dans Paris est une fête, Hemingway décrit également bien l’atmosphère confortable qui régnait dans l’appartement de l’auteur de The Making of Americans (1925), où l’on servait des liqueurs naturelles de fabrication maison. Rapidement, Hemingway devint un invité habituel. Avec Gertrude, ils discutent de littérature, de leurs propres écrits. Hemingway se passionne pour les tableaux de la collection des Stein : des Matisse, des Picasso de la période rose et de la naissance du cubisme, quelques Cézanne, un Renoir, un intérieur de Manguin, des tournesols de Gauguin, un nu de Vallotton, Maurice Denis, Daumier. Gertrude explique à l’écrivain le secret de sa collection : collectionner les artistes de son temps. Pour se le permettre, il suffit de ne pas changer sa vieille garde-robe pendant un certain temps.
Gertrude connaît la gloire grâce à la publication de l’Autobiographie d’Alice B. Toklas (1933). Dans ce livre, elle décrit cette vie parisienne dans l’appartement de la rue de Fleurus, sa rencontre avec Picasso et Matisse, et les débuts du cubisme. Matisse, lors d’un dîner, apporta une statuette nègre qu’il avait acheté dans le magasin de curiosité d’Emile Heyman sur le boulevard Raspail. Picasso la regarda toute la soirée et, à la fin du repas, demanda à Matisse de l’emprunter. De cette «première rencontre» naîtront les esquisses des Demoiselles d’Avignon (1906-1907).
«Les gens venaient pour rire et ils restaient pour prier.» disait Léo à propos de ceux qui venaient voir les collections des Stein.
J’espère que ces lieux magiques de Montparnasse vous ont inspiré les deux à la fois…