Dans les fossés du Louvre médiéval
Introduction
Depuis la fin du XIIe siècle, le Louvre joue un rôle de premier ordre, dans l’histoire de Paris comme dans l’histoire du pays. Peu d’édifices en France peuvent rivaliser avec lui : les palais plus anciens ont tous disparu ou n’ont laissé que peu de traces, Versailles n’a été résidence royale que pendant un peu plus d’un siècle, Chinon, Blois, Chambord, Fontainebleau ou Vincennes encore moins longtemps. Seul le Louvre peut se targuer d’avoir été pendant plus de 800 ans associé au cœur du pouvoir, un point où convergent les regards de toute une nation. Dans un état centralisé- et la France l’a presque toujours été- la somptuosité des architectures et le faste des décors intérieurs participent à l’image que le Prince, quel que soit son titre, souhaite imposer de lui.
Les murs et les salles du musée possèdent de ce fait une atmosphère spécifique: les rois, les empereurs, les princes, les présidents sont partout présents, comme le sont les artistes, les savants, les académies… Le Louvre regorge de fantômes du passé car ses murs ont été témoin de nombreux événements, heureux comme malheureux, importants comme anecdotiques, qui tous à leur manière participent à la grande histoire.
L’une des particularités du Louvre est de ne pas être un simple musée mais d’être partiellement installé dans d’anciens espaces de vie et de représentation. Ils sont pour certains encore clairement lisibles et identifiables, d’autres n’ont laissé de trace que dans les livres d’histoire. Car dans un musée qui est un organisme vivant, les lieux se déplacent, évoluent, changent d’affectation au gré du temps ou des modes, au gré du désir d’un puissant ou, simplement, par nécessité. Dans les murs du Louvre, c’est l’histoire politique qui s’est exprimée. C’est aussi l’histoire de la culture occidentale qui est présente et pas seulement par les collections qui sont exposées là. Dans les salons de l’ancien appartement du Roi, les académies ont siégé pendant plus d’un siècle; dans certaines ailes abandonnées, des ateliers et des appartements ont été habités par les plus grands artistes de leur temps; et certaines salles du musée sont encore attachées à la présence d’un savant important...
Ce parcours se propose de vous faire découvrir ce Louvre qui n’est pas celui des chefs-d’œuvre des collections mais celui des hommes qui ont vécu, ont travaillé, sont morts entre ses murs. Pas d’ordre chronologique pour cette promenade mais l’évocation de plusieurs personnages célèbres, royaux ou non qui sont attachés à tel ou tel recoin de l’immense palais.
Rendez-vous sous la pyramide du Louvre. Prenez la direction indiquée « Sully », passez les contrôles et continuez tout droit. Vous allez passer sous une porte; continuez face à vous en direction d’un mur de pierre sur lequel sont présentés des fragments sculptés. A gauche de ce mur, un passage permet d’entrer dans les fossés du Louvre médiéval.
Dans les fossés du Louvre médiéval
C’est ici qu’est né le Louvre et les murs qui vous entourent remontent jusqu’aux années 1190-1205. Philippe Auguste, roi de France de 1179 à 1223, en a ordonné la construction afin de protéger Paris.
La capitale du royaume est en effet sans protection à cette époque, alors qu’elle est la ville la plus peuplée d’Europe occidentale et qu’elle est en plein développement. Le royaume est à cette époque l’objet de pressions importantes des Plantagenêt qui règnent alors sur l’Angleterre et le duché de Normandie; la frontière qui sépare les deux ennemis est à Gisors, à seulement 70 kilomètres à l’ouest de Paris. Pour le roi qui s’apprête à partir en croisade avec Richard Cœur-de-lion, nouveau roi d’Angleterre, il faut protéger ses terres. Il ordonne donc la construction d’une longue et forte enceinte qui va protéger sa ville de tout danger. Afin de la renforcer, il ordonne l’aménagement, à l’extérieur de la ville, à l’ouest, d’une forteresse qui contrôle les principaux accès à la ville depuis la Normandie: le Louvre est né.
Le premier château est une simple fortification, il n’est pas destiné à servir de séjour à la famille royale qui peut tout de même y trouver refuge en cas de danger. Le complexe est presque carré, renforcé de tours à chacun de ses angles et au centre de ses murailles ouest et nord; ses côtés est et sud présentent, au centre, une porte encadrée de deux tours. Au centre du complexe, dans une vaste cour, un donjon surplombe tous les bâtiments.
L’espace dans lequel vous vous trouvez est un ancien fossé autrefois empli d’eau. On la faisait monter depuis la Seine, située à faible distance mais à un niveau plus bas, par l’intermédiaire d’une machine sophistiquée. Les archives conservent la trace de nettoyages réguliers des fossés: les poissons alors récupérés étaient vendus au profit de la couronne et l’opération se soldait semble t-il par des gains non négligeables!
Si vous vous approchez de la tour d’angle, autrefois appelée tour de la Taillerie, vous verrez sur les parois d’étranges signes, dont des cœurs gravés sur la plupart des blocs. Il ne s’agit pas de graffitis modernes mais de marques de tâcheron laissées au moment de la construction. Les tâcherons sont les tailleurs de pierre qui travaillaient par équipe et étaient rémunérés en fonction du nombre de blocs travaillés. Pour éviter les querelles, les blocs étaient signés par les ouvriers. L’équipe qui a travaillé à la taille des pierres de cette tour signait avec un cœur mais en inspectant de près les autres maçonneries de la zone, vous trouverez d’autres signes qui identifient au moins six autres équipes!
Cette partie du Louvre, qui correspond aux fossés nord et est du château, a été démolie au milieu du XVIIe siècle, et seule la base des murs est donc conservée. Le puits que vous avez vu à votre gauche juste avant l’angle date de l’époque où le fossé était comblé. Il servait sans doute aux habitants des maisons voisines.
Plus loin, une pile entre deux tours marque l’emplacement du pont situé en avant de la porte orientale du château: c’est là, au-dessus de vos têtes, que Concino Concini, favori et conseiller de la reine-mère Marie de Médicis, fut assassiné le 24 avril 1617 par ordre du jeune Louis XIII qui se serait écrié en montant sur une table: «Grand merci à vous! A cette heure, je suis roi».
Au bout du fossé, une ouverture est pratiquée à droite, dans la maçonnerie médiévale; elle vous conduit dans le fossé de l’ancien donjon. Remarquez dans le passage l’un des ancien puits qui alimentait la garnison en eau.