Un peu d'histoire


Connu pour ses fastes au XIX siècle, grâce à la fréquentation d’artistes et écrivains déjà affirmés comme Renoir, Monet et Maupassant, suivis plus tard par les fauves André Derain et Maurice de Vlaminck qui s’y étaient installés, Chatou a sa part d’histoires passionnantes à raconter, avec de grands jours et de brusques retournements. Ce qui n’était au départ qu’un petit village aux portes de Paris s’est transformé peu à peu en une ville à part entière, satellite oui, mais avec son propre caractère.

Au Quaternaire, avant l’arrivée de l’homme, le bassin parisien, dont fait partie la boucle de Seine, est méconnaissable : la mer occupe une partie de l’Île-de-France et le niveau de l’eau du fleuve est supérieur d’au moins 37m à celui d’aujourd’hui ! La faune qui habite la région est surprenante : on a retrouvé des fossiles d’éléphants, de rhinocéros et d’autres espèces exotiques presque toutes disparues.

Des peuples ou tribus préceltiques s’y installent : on a retrouvé dans la boucle de Seine des haches en silex (une pierre très dure utilisée pour fabriquer des armes et des outils) qui datent du néolithique, probablement avant le IXe millénaire av. J.-C. Les Celtes arrivent en France autour de 450 av. J.-C. et établissent des villages le long de la Seine : l’eau poissonneuse et le gibier des forêts sont amplement suffisants pour leur subsistance. Cette civilisation va être bousculée : entre 58 et 51 av. J.-C. Jules César conquiert la Gaule (pour les Romains les celtes de France sont des « Gaulois », nom qui dérive des combats de coqs pour lesquels ils étaient connus). La Seine, anciennement appelée « Sequana », démarque la province romaine de la Gaule de celle de la Belgique : c’est à cette dernière qu’appartiennent donc les territoires sur la rive droite de la Seine, y compris Chatou. Sous la pax romana, la région connait une longue période de stabilité et de prospérité. C’est de cette époque, en particulier du nom d’un riche possédant gallo-romain, Cattus, que selon certains auteurs, dérive le nom de la ville de Chatou, qui s’appelait à l’époque Catullaco ou Captunacum.

Avec les grandes invasions du Ve siècle, sous lesquelles s’effondre l’empire romain d’occident, on voit défiler dans la région Wisigoths, Vandales, Huns et les tribus germaniques des Francs. Certains n’envahissent que pour passer, d’autres, comme les Francs, s’installent en Gaule. C’est sous ces derniers que naît la dynastie des mérovingiens, premiers rois de France, dont le royaume s’étend peu à peu sur tout le territoire français.

Les rois mérovingiens, qui règnent du Ve au milieu du VIIIe siècle, bâtissent à Chatou une villa – une demeure contournée d’un ensemble de fermes agricoles et ateliers, située probablement entre les lieux-dits le Chatelet et les Cures, pour profiter du gibier abondant de la forêt du Vésinet et du vin produit dans le territoire catovien. Avec Rueil, Saint-Germain et Saint-Denis, Chatou est l’un des centres privilégiés du roi Childebert (497-558) et de ses successeurs. Cette époque de paix se termine avec l’invasion et l’occupation de la région par les Vikings (les Normands) au milieu du IXe siècle, vers 845-856 : lors des sièges de Paris, Chatou et les villes limitrophes sont occupés et rasés, les populations décimées ou enfuies.

En 870, pour compenser les pertes que les Normands ont causées à l’abbaye de Saint-Denis, Charles-le-Chauve cède à celle-ci une partie importante du territoire de Chatou : l’abbaye restera propriétaire de ces terrains pour neuf cents ans, jusqu’à la Révolution ! Au Xe siècle Chatou fait partie du domaine des Montmorency - les premiers d’une longue série de familles seigneuriales - qui lèguent une partie du territoire et des droits sur le bac de la Seine à l’abbaye des Bénédictines de Malnoue en Brie (connue aussi sous le nom de Notre-Dame-des Bois). Au XIVe siècle, la peste noire (1347-1352) et la guerre de cent ans (1337-1453) font des ravages : la Ville est brulée en 1346 par les anglais et la population décimée, au point qu’elle ne comptera qu’une trentaine d’habitants en 1470. En 1374, Gilles Mallet, garde de la librairie de Charles V au Louvre et écuyer du Roi, devient seigneur du domaine de Chatou jusqu’à sa mort en 1410. C’est grâce à sa donation qu’on restaurera l’Église de Notre-Dame vers la fin du siècle. Au XVIe siècle, Thomas Le Pileur, successeur des Mallet à la seigneurie de Chatou, fait construire une enceinte autour de l’église et du château pour protéger la ville des incursions de troupes mercenaires. Il racheta aussi aux religieuses de Malnoue les droits sur le bac ainsi que des autres biens qu’elles possèdent à Chatou.

De par sa position entre Paris et la résidence royale de Saint-Germain-en-Laye, Chatou est un point de passage privilégié du Roi et de sa cour. Au début du XVIIe siècle, Henri IV, séjourne souvent dans son nouveau château de Saint-Germain achevé en 1599 et aime surtout chasser dans le bois du Vésinet qu’il vient d’acquérir peu avant, en 1595, à Albert de Gondi, comte de Retz. Mais la route de Saint-Germain n’est pas des plus aisées : le cortège royal doit choisir entre la route de Chatou, qui prévoit un passage par batelier bien périlleux pour le cortège royal, et celle via Bougival qui non seulement était plus longue mais aussi souvent inondée par la Seine. On décide donc de faire construire un pont à Chatou : c’est la fille de Thomas le Pileur, Justine, qui obtient la concession et construit un pont en bois, doté de boutiques et de deux moulins.

D’autres seigneurs se succèdent à Chatou, tels que des membres de la famille des Portail, descendants de Justine Le Pileur et de Paul Portail, seigneur de Montesson, suivis au XVIIIe siècle par Marc-Antoine Laurent d’Allard, écuyer du Roi, et finalement, par l’inspecteur des finances Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin, futur ministre sous Louis XV et Louis XVI.

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Alexander Roslin, Portrait de Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin

Le nouveau seigneur, Henri-Léonard Jean-Baptiste Bertin, est un personnage important de la deuxième moitié du XVIIIe siècle : descendant d’une famille bourgeoise du Périgord qui s’était hissée peu à peu dans la société française et avait accumulé des richesses importantes, il aura une carrière notable dans le gouvernement royal étant aussi nommé ministre à deux reprises. Il a des intérêts très divers, allant de l’étude de l’histoire à l’agriculture, pour laquelle il cultive une vraie passion. Contrôleur général des Finances, il fait rattacher l’agriculture à ses services et la conserve quand il est nommé ministre d’État en 1762. En tant que ministre, Bertin s’emploie à innover dans la production agricole en cherchant la coopération étroite avec les agriculteurs et en instaurant des écoles d’agriculture. Il est aussi à l’origine de la fondation de l’École des Mines.

Pour se rapprocher des résidences royales de Versailles, de Saint-Germain et de la capitale, Bertin rachète en 1766 les domaines de Chatou et de Montesson, recouvrant une superficie de 55 hectares. L’ancien château est vétuste et modeste, Bertin veut se doter d’une nouvelle résidence digne d’un ministre du gouvernement. Il refuse un don du Roi de 100.000 livres (1,2 millions d’euros d’aujourd’hui) pour rénover l’ancien château : il a suffisamment de revenus et de richesse pour en bâtir un à son compte. Il demande à l’un des plus grands architectes de France, Jacques-Germain Soufflot, de lui dessiner un nouveau château avec des annexes somptueuses, dont le fameux Nymphée qu’on peut encore admirer aujourd’hui.

Les vastes terrains en sa possession lui permettent d’y conduire ses expérimentations agricoles : il crée un potager de 6 hectares dans lequel il cultive différents types d’arbres fruitiers, dont des cerisiers d’une qualité gustative bien appréciée à l’époque, des abricotiers et, surtout, des pommes de terre, qui étaient peu connues en France et dont Bertin devient l’un des plus fervents propagateurs pour leurs propriétés nutritionnelles.

L’un des moments forts de l’histoire de Chatou se déroule justement sous la seigneurie de Bertin : en mai 1789 la population de Chatou se rebelle contre la décision du seigneur de fermer la route de Carrière et de Montesson, que les paysans du village empruntent pour aller labourer leurs champs. En englobant le chemin dans son domaine, cent d'un mur qu’il a fait ériger, le seigneur a fait ouvrir une nouvelle route sur le tracé de l’actuel boulevard de la République. Les catoviens se sont opposés depuis longtemps à ce projet qui prolonge leur itinéraire quotidien, et ont obtenu une suspension temporaire en 1788. Après le rejet de leur recours, les travaux commencent au printemps suivant. Les habitants, sous l’impulsion du maire, croient bon d’en faire doléance en vue des États généraux, mais leur plainte n’est pas retenue. Excédés par ce qu’ils considèrent un abus, les habitants se révoltent : des actes de vandalisme sont commis contre les propriétés de Bertin, suivis d’un véritable tumulte le 9 mai 1789 durant lequel la population abat le mur et occupe les terrains du seigneur. Un avant-goût de la révolte contre l’aristocratie sous la Révolution... Ayant compris que son futur de seigneur de Chatou était en danger, Bertin vend son domaine en 1791 et se retire à Spa (Belgique) où il meurt l’année suivante.

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Le plan du lotissement du parc du Vésinet, s.d. (vers 1858-1869)

Le XIXe siècle est plein d’événements et de changements radicaux. Le plus important a été sans doute la construction en 1835 de la première ligne ferroviaire pour voyageurs qui lie Paris à Saint-Germain (au Pecq, le dernier tronçon sera ajouté plus tard) s’arrêtant à Chatou. Le chemin de fer change complètement la vocation et la physionomie de la bourgade agricole. Les villes servies par la ligne, avec leur nature florissante et la fraicheur de la Seine, deviennent une destination de sorties des parisiens et de lieux privilégiés pour y faire bâtir leurs maisons de villégiature. Les insurrections de 1830 et 1848, ainsi que la guerre franco-prussienne et la Commune de Paris ne manquent pas d’affecter la ville, avec leurs tributs de morts et de héros. En 1875 le Vésinet, un vaste bois de chasse avec une petite bourgade qui jusqu’alors était partagé entre Croissy, Montesson et surtout Chatou, obtient le statut de commune à part entière couplé par un grand projet de lotissement par le promoteur et futur premier maire de la commune Alphonse Pallu.

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Anonyme, La locomotive à vapeur et le chemin de fer, caricature, vers 1840

Le dernier quart du siècle voit l’essor économique de Chatou : en plus d’être devenue un lieu de plaisance pour les artistes et bourgeois parisiens, la Ville vit la naissance d’un pôle industriel dont les usines Pathé seront le fleuron principal. À la même époque on inaugure aussi le tramway à vapeur qui relie Nanterre, Rueil, et le Pecq, en passant par Chatou devant l’église et la mairie sur l’actuel avenue du Maréchal Foch.

Au XXe siècle se confirment la vocation à la fois résidentielle et industrielle de Chatou : l’ancien domaine de Bertin, qui avait été racheté en 1829 par l’un des premiers maires de Chatou, Antoine Lacroix, est progressivement morcelé et loti entre 1873 et 1929 par les héritiers de la branche de Louis-Adrien Moisant, donnant lieu à la naissance du Parc de Chatou. Pathé, qui aura fusionné avec le groupe EMI, continue sa croissance et emploie dans les années 1950 plus de 3.000 ouvriers. Des deux guerres mondiales, c’est surtout la deuxième qui marque l’histoire de Chatou : avec le débarquement des alliés sur la côte normande et leur avance sur Paris, des résistants de Chatou, installés au Château de la Pièce d’Eau – Villa Lambert – prennent le contrôle de la Ville et appréhendèrent vingt-trois soldats allemands. Leur conquête sera brève : les troupes allemandes reprennent Chatou et fusillent vingt-sept résistants catoviens avant de se replier vers l’Allemagne sous la pression des troupes alliées.

Après la deuxième guerre mondiale, la Ville continue son expansion avec en particulier un grand projet de requalification urbaine qui bouleversera complètement l’ancien centre villageois pour y substituer des immeubles sans grâce qui ont définitivement dévasté le paysage urbain. Le tout-voiture qui caractérise l’urbanisme des derniers cinquante ans a été à l’origine du déplacement du pont de Chatou et de l’ouverture d’artères de circulation pour le trafic automobile qui ont coupé en deux la ville.

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