La cour des Senteurs
Nous commençons notre parcours à la Cour des senteurs, un concept culturel et touristique qui a vu le jour en 2013, créé par l’architecte-scénographe Philippe Pumain et l'historienne des parfums Elisabeth de Feydeau. En tant qu’ancienne capitale royale du parfum, il était évident que la ville de Versailles pouvait accueillir, tel un écrin, ce lieu d'informations et d’expérimentations retraçant la grande histoire de cet art olfactif.
La maison des parfums
Plongeons dans l'histoire des saveurs et des senteurs. Dans ce petit musée interactif, est retracée l'histoire du parfum de l'antiquité à nos jours à travers trois thèmes principaux ; l'histoire et les traditions, les matières premières et l'excellence de la parfumerie française. Remontons cette histoire du parfum à rebours. Nous connaissons toutes et tous le parfum sous sa forme actuelle ; un liquide composé d'une multitude d'arômes contenus dans un flacon tout droit sorti de l'imagination d'un créateur ou d'un designer à la mode. Seules les maisons de haute-couture produisent en quantité industrielle des parfums réputés dans le monde entier. Angel de Thierry Mugler, Shalimar de Guerlain, ou encore J’adore de Dior sont ici à disposition de votre nez. Mais à leurs côtés, vous trouverez aussi des arômes reconstitués. Tous ne sont pas issus de fleurs. Certains sont des concepts à part entière. Essayez par exemple « l'herbe après la pluie » ou encore « le muguet », arôme qui ne peut être créé qu'artificiellement, la fleur étant trop fragile et volatile pour pouvoir recueillir son essence. Ces « concepts » sont ce que nous définissons actuellement comme du parfum. Nous achetons toutes et tous des parfums qui sont le résultat d'une composition, qu'elle soit florale, épicée ou boisée. Nous ne nous contentons pas d'une odeur de rose, ou d'un parfum au lilas. Nous cherchons un mélange subtil qui révèle aux autres quelque chose d'intime. Deux éléments doivent nous convenir quand nous choisissons un parfum : son odeur, bien sûr, subtil mélange d’une multitude d’arômes, mais également son message, le concept qu'il renvoie. D’humeur polissonne ? Choisissez Insolence de Guerlain. Plutôt amoureuse ? Essayez Amor Amor de Cacharel. Femme fatale ? Chanel n°5 ou Poison de Dior répondront à vos attentes. Le parfum n'est plus de nos jours un simple accessoire. C'est un élément de notre toilette qui définit et même affirme notre personnalité ou notre état d'humeur. Aujourd'hui, il est même possible de créer son propre parfum, une fragrance personnalisée et totalement unique, qui, en plus de nous démarquer des autres, affirme également une part de notre intimité. Pourtant, cela n'a pas toujours été le cas, et nous verrons ensemble que l'histoire du parfum permet de dépeindre l'évolution des pratiques et des coutumes de la société à travers les siècles.
L'utilisation d'onguents, pommades et autres huiles parfumées dans l'antiquité est attestée par tous les historiens. Ils avaient un rôle avant tout religieux, même s'il est fort probable que certains de ces produits parfumés aient joué un rôle également cosmétique. Au Moyen-âge, la tradition des produits parfumés se perd ; il faut attendre la Renaissance pour qu'elle revienne, grâce notamment à l'imprimerie, qui permet de diffuser des livres de recettes et de savoir-faire, ainsi qu'aux produits parfumés ramenés d'Amérique et d'Inde par les grands explorateurs. Reines et princesses européennes commencent également à se passionner pour ses senteurs venues d'ailleurs, symboles d'exotisme et de richesse, en témoigne par exemple le cabinet des poisons de Catherine de Médicis au château de Blois. Les deux premières compagnies des Indes Orientales créées en 1600 et 1609 joueront d'ailleurs un rôle majeur dans l'importation de nouvelles saveurs comme les épices et les aromates en Europe. Mais c'est réellement au début du XVIIIe siècle que la France bénéficiera de ces denrées recherchées, avec la création à Pondichéry du principal comptoir français, ce qui permettra ainsi au royaume d'importer directement, sans avoir à s’encombrer de frais supplémentaires et de produits de moindre qualité comme c'était bien souvent le cas auparavant, ces denrées transitant obligatoirement par les grands ports anglais ou hollandais avant d'être achetés par la France.
Au XVIIe siècle, les parfums sont avant tout élaborés dans un but médicinal, afin de guérir ou de protéger des maladies, notamment la peste. A cette époque, les parfums se composent essentiellement de glandes animales. Il y a peu de choix, pas de compositions, mais les senteurs sont très fortes, comme par exemple le musc, très prisé à cette époque, qui est en réalité un extrait des glandes abdominales des « cerfs porte-musc » d'Asie centrale. Malgré cela, on s'inonde littéralement de parfum pour masquer la pestilence corporelle en vigueur à cette époque, résultat d'une hygiène insuffisante dont nous reparlerons plus tard. En réalité, nous allons voir que le parfum va acquérir ses lettres de noblesse au moment même ou, au XVIIe siècle, l’hygiène ne cesse de se dégrader.
Les flacons, quant à eux, se développeront essentiellement au cours du XVIIIe siècle à travers l'utilisation de récipients en verre ou en porcelaine encouragés notamment par Madame Du Barry, la dernière favorite de Louis XV. Auparavant, vases, coupes, tasses, fioles et pots étaient de mise, puisque contenu et contenant étaient vendus séparément, l'un et l'autre faisant l’objet d'un traitement totalement indépendant. Aussi, vous pouvez admirer dans plusieurs vitrines de la maison des parfums différents flacons et noter ainsi l'évolution et la mise en valeur, au fur et à mesure, de ces contenants qui sont devenus aujourd'hui aussi importants que la fragrance qu'ils renferment précieusement.
Versailles s'est affirmée au cours des siècles comme le siège de l'excellence à la française, ou art et artisanat sont presque indiscernables. C'est Louis XIV, sous l'impulsion de son ministre Colbert, qui institua les métiers d'art au plus haut rang, afin notamment d'exporter « l'excellence à la française » à l'étranger. « Créer et exceller » est devenu la devise de ces métiers mêlant art et artisanat, comme notamment celui de parfumeur, même s'il ne s'entend pas encore sous son sens actuel. Malgré le peu de diversité des senteurs et l'utilisation du parfum non pour embaumer mais pour dissimuler, Louis XIV avait cependant un parfumeur attitré, le Sieur Barbe, qui participe à l'association de la parfumerie et de la confrérie des gantiers-parfumeurs – créée il y a déjà plusieurs siècles – au prestige de la ville de Versailles. Les « parfumeurs » se répartissent alors entre les artisans qui fournissent la cour et les Officiers du roi qui vivent en son sein et qui appartiennent ainsi à une certaine noblesse.
Ainsi faut-il bien entendre que même si les artisans tiennent généralement boutique à Paris, c’est en revanche à Versailles qu'ils travaillent réellement, leurs commanditaires n'étant que membres de la royauté ou, exceptionnellement, de la noblesse. Plusieurs facteurs encouragent d'ailleurs le déplacement de cet artisanat de luxe en région parisienne, comme notamment le déclin de la communauté ancestrale de parfumeurs de Montpellier causé par l'essor de celle de Grasse qui ne cessera de s'affirmer et de se spécialiser dès le milieu du XVIIe siècle. C'est à Grasse qu'on expérimente, qu'on invente, qu'on innove, mais c'est à Versailles que se trouve la clientèle. Ainsi, deux écoles se forment parallèlement, l'une et l'autre intrinsèquement liées, faisant évoluer cet artisanat en véritable science. Aujourd'hui, seule Grasse a su conserver sa position de capitale parfumée. Au carrefour des senteurs méditerranéennes, la ville ensoleillée l'a emporté sur la ville du roi soleil qui n'aura eu, finalement, qu'un rôle éphémère, mais essentiel, dans l'histoire de la parfumerie européenne.
La cour
A la Cour des senteurs, on expérimente réellement Versailles la « ville parfumée ». Construite sur le thème saveur / senteur, la Cour des senteurs nous plonge dans le patrimoine sensoriel de ce qui fut l’une des premières capitales de la senteur et du goût dès le XVIIe siècle. En sortant de la maison des parfums, nous débouchons sur cette cour à ciel ouvert bâtie sur les ruines de bâtiments qui appartenaient auparavant au château de Versailles. Aujourd’hui, quatre enseignes occupent la cour, permettant aux visiteurs de découvrir ou de redécouvrir le fleuron du bien-être et de l’art de vivre « à la française ».
Première enseigne de marque, la boutique du parfumeur Guerlain. Crée en 1828, la maison Guerlain est aujourd’hui une référence dans la parfumerie internationale. Cette boutique versaillaise, qui allie savoir-faire, patrimoine et création est un véritable écrin d’histoire et de senteurs. Imaginée par des artistes et artisans français, cet espace se veut un « hommage contemporain au savoir-faire des métiers d’art français ». De l’extérieur, le ton est donné avec ce fronton monumental orné d’un bas-relief aux armes et symboles du roi soleil. A l’intérieur, l’espace « création », qui sert d’ailleurs d’atelier lors des activités proposées régulièrement par la maison, est doté de décors rappelant les motifs décoratifs des tapisseries du XVIIe siècle. Sont exposés ici les célèbres flacons de verre qui ont fait la renommée de la maison, les flacons dits « aux abeilles ». Vous pourrez d’ailleurs admirer l’un des plus anciens d’entre eux, daté de 1853 et réalisé par le verrier Pochet & du Courval pour L’Eau de Cologne Impériale destinée à l’Impératrice Eugénie qui contient toujours sa précieuse fragrance. Dans l’espace intermédiaire de la boutique, tous les grands parfums de la maison Guerlain sont disponibles à la vente, de Shalimar à La petite robe noire. Sur fond de bas-reliefs aux symboles de l’ancien régime, est également exposée une création unique, l’eau de parfum Cour des senteurs Versailles. Il s’agit d’un véritable hommage au Roi soleil, à son faste et à son éclat. Laissons le créateur et parfumeur Thierry Wasser, qui a succédé au maître Jean-Paul Guerlain, nous en parler :
« Guerlain a souhaité célébrer le souvenir des fêtes royales au Château de Versailles par un parfum unique. Le faste, l’éclat, la féérie et l’élégance de ces bals majestueux sont couronnés par la senteur enivrante d’un jasmin solaire. (…) Le parfum s’ouvre sur les notes vives et vertes de la bergamote et du galbanum. Le beau et noble jasmin Grandiflora, originaire de Calabre, sensuel et voluptueux mène le bal en son cœur, paré de fleurs fraîches de Printemps: cyclamen et jasmin. Majestueusement, l’ambre et le musc blanc composent en fond, un sillage à la grâce inoubliable. »
Le flacon qui renferme cette précieuse ambroisie a lui aussi fait l’objet d’une attention particulière. C’est évidemment l’emblématique « Abeilles blanches » qui a été choisi. Pour minimiser la présence des abeilles, certes emblèmes de la maison mais aussi symboles de l’Empire, les créateurs ont coiffé le précieux contenant d’un ruban rouge bordé de noir. Ainsi, le rouge rappelle-t-il la couleur éclatante des célèbres talonnettes du Roi soleil, tandis que l’étiquette blanche, elle, met à l’honneur le soleil, emblème de Louis XIV repris plus tard par Guerlain.
Autre enseigne de prestige, située en face de Guerlain et accolée à la maison des parfums : Diptyque. En vous y rendant, remarquez d’ailleurs le petit parterre floral situé à la sortie de la maison des parfums. Composé d’iris, d’œillets, de violettes et d’un amandier, il s’agit d’un hommage la fragrance Après l’ondée, créée par Guerlain en 1906. Créateur-parfumeur réputé dans le monde entier, Diptyque, fondé en 1961, offre un large choix d’effluves délicats pour la maison et pour le corps dans la tradition des bazars chics, en témoigne le parfum d’ambiance L’autre, créé en 1973, composé d’un mélange d’épices respirées par son créateur sur un marché à Damas, un véritable voyage pour les sens !
Troisième maison de prestige située dans la Cour des senteurs, Maison Fabre. Ce créateur propose depuis 1924 des accessoires inspirés de la tradition des gantiers-parfumeurs qui s’est développée sous l’influence de la reine Marie-Antoinette. Entreprise familiale et artisanale, Maison Fabre propose des créations uniques dont la moitié est encore fabriquée à la main. En remettant la tradition des gantiers-parfumeurs au goût du jour, Maison Fabre rend hommage à cette communauté artisanale devenue en quelques années une corporation de premier plan.
En effet, après une reconnaissance du gouvernement de Louis XIII en 1614, la confrérie obtient en 1656 de nouveaux statuts qui régissent et encadrent strictement la profession reconnaissant ainsi différents droits et devoirs aux gantiers-parfumeurs qui en sont membres. En revanche, en l'absence d'une organisation corporative identique à celle de Paris ou Grasse, les artisans de Montpellier vont peu à peu faire faillite, définitivement fragilisés face à leurs concurrents. Ainsi faut-il bien entendre que le gantier est également parfumeur et vice versa. La polyvalence de ces artisans est acquise au cours de nombreuses années de formation, comme l'exige la confrérie. Ainsi, quatre ans d'apprentissage et trois ans de compagnonnage étaient nécessaires à l'obtention du titre de gantier-parfumeur, avec en prime la possibilité d'ouvrir boutique. Une célèbre gravure du XVIIe montre d'ailleurs l'incroyable tenue que pouvaient porter les parfumeurs-gantiers, témoignage de la richesse des arômes et des senteurs déjà à cette époque.
Cependant, la France n'a pas l'exclusivité dans ce domaine, puisque l'Italie et l'Espagne s'avèrent être de sérieux concurrents, en témoigne une création qui fit date de 1649: des gants parfumés à la frangipane créés par la Signora Maddalena, une "femme fameuse pour les parfums" en Italie. Simon Barbe, le gantier-parfumeur de Louis XIV, ne manquera pas de donner quelques années plus tard sa propre recette de "gants de Frangipane" dans l'une de ses œuvres publiée en 1693, Le parfumeur français. Nous lui devons d'ailleurs de nombreuses avancées dans le domaine de la parfumerie, puisqu'il explique dans cet ouvrage comment créer des "gants d'ambre sans ambre" ou encore des "gants de l'odeur de jasmin sans fleurs", autrement dit des procédés de création de parfums de synthèse, les premiers de l'époque.
Quatrième et dernière enseigne de la Cour des senteurs, le très célèbre traiteur gastronomique Lenôtre. On trouve ici toutes les dernières créations sucrées et salées qui font depuis 1947 la réputation des chefs de cette maison d’exception, comme notamment le fameux macaron pailleté au cœur coulant d’une confiture de fleur de jasmin. Fleur favorite de Marie-Antoinette, le jasmin était surtout utilisé au XVIIIe siècle en parfumerie. Les créations de Lenôtre s’inscrivent donc comme une réinterprétation moderne des arômes appréciés par les rois et les reines, un lien entre les senteurs et les saveurs prisées par la cour de Versailles.
A la fin de la cour vous apercevez un passage et des indications pour vous rendre vers le jardin des senteurs, notre prochaine étape.