Le cabinet de Balzac
Éloigné de la porte d'entrée, et donc des importuns, le bureau de l'écrivain était décoré de velours rouge, de livres et d'objets de mobilier qu'il entassait avec son goût insatiable pour les antiquités. Une fenêtre donne sur le jardin, l'autre sur l'ancien château de la princesse de Lamballe dans lequel Balzac espérait un moment finir sa vie avec Mme Hanska. Mais les docteurs Esprit et Émile Blanche y installeront en 1846 leur maison de santé qui accueillera, entre autres malades de l'âme, Nerval et Maupassant. C'est aujourd'hui l'ambassade de Turquie, que l'on a du mal à apercevoir tant elle est protégée.
La pièce maîtresse du bureau est la table que l’on voit encore aujourd’hui et qui a accompagné Balzac de déménagement en déménagement.
On pourrait penser que le génie de ce monument de la littérature française provenait d'un don exceptionnel. Il était surtout lié à une ambition démesurée et à une discipline de fer qu'il s'infligeait ici-même chaque jour et chaque nuit. Balzac se réveillait aux alentours de minuit, enfilait son froc (une grosse chemise de toile en été et de cachemire en hiver) et se replongeait dans ses manuscrits. À huit heures du matin, il déjeunait rapidement, prenait un long bain, puis s'attaquait à la relecture des épreuves reçues de ses imprimeurs. À sa taille, retenu par un cordon, pendaient un coupe-papier et une paire de ciseaux, outils indispensables pour porter ses corrections et ses ajouts sur d'innombrables banderoles de papier qui rendaient fous les typographes (certains refusant de « faire plus d’une heure de Balzac » par jour). Il lui arrivait de retravailler certains passages jusqu’à une quinzaine de fois, ce qui génèrait des retards réguliers de livraison de ses textes aux éditeurs et aux journaux. Il avalait généralement un déjeuner léger le midi, puis s'enfermait à nouveau dans son bureau jusque vers cinq heures, dînait puis s'endormait de huit heures à minuit.
Une lettre du 28 décembre 1844 à Évelyne Hanska (qui habite alors Dresde) donne une idée de la quantité de travail qu'il abattait chaque jour, malgré la fatigue et ses inquiétudes concernant les intentions d'Évelyne à son égard : « Mon ange bien-aimé, voici l'état de mes travaux. J'ai à terminer la deuxième partie des Paysans, et, sur treize chapitres, je n'en ai que quatre de faits. J'en ai donc neuf à écrire. C'est environ quatre-vingt-dix feuillets de mon écriture, soit deux feuillets pleins, comme les deux premiers de cette lettre. On ne peut pas en écrire plus de dix par jour, en moyenne. […] Ce serait onze jours de travail ; puis, une moyenne de onze jours pour la correction des épreuves, c'est vingt-deux jours. […] Je travaille dix-huit heures tous les jours. J'ai trois volumes de la Comédie Humaine à corriger pendant tous ces travaux de choses nouvelles, ce qui me prend au moins trois heures par jour. […] Je suis d'une excessive impatience d'avoir de tes nouvelles et de connaître mon sort. […] Mais il faut finir, et il est impossible que ce que j'ai à faire ne se ressente pas de la situation d'esprit où je suis. […] Tant de travaux m'ont épuisé d'ailleurs ; je me sens fatigué de tête. […]Je t'en supplie, ma chérie, ma Linette, écris-moi, toutes les semaines au moins, jusqu'à ce que je parte ; il n'y a que cela pour me faire prendre patience. Je t'écris toujours plus que tu ne m'écris. Je suis inquiet de ce rhume, de cette fatigue surtout. Ne m'écris que de toi, que sur toi, que de nous, et rien de Dresde, que je connais. »
Mais Balzac n'est pas pour autant l'être reclus que l'on imagine, concentré jour et nuit sur sa plume. Ses journées et nuits surchargées de travail ne l'empêchent pas de s'autoriser des sorties. Pour se rendre à Paris, il descend les pentes raides qui mènent jusqu'à la Seine et emprunte la « patache » de Saint-Cloud qui, par le fleuve, le conduit jusqu'au cœur de la capitale.
Le 15 décembre 1840, il est ainsi témoin de l'entrée des cendres de Napoléon – qu'il admire – aux Invalides ; le 21 mars 1841, il est invité chez Delphine de Girardin aux côtés d'Hugo, de Théophile Gautier, Lamartine et Alphonse Karr. Le 3 juin, il assiste à l'entrée d'Hugo à la Comédie Française, etc.
Il a aussi besoin de s'imprégner des lieux parisiens et des atmosphères pour mieux les décrire dans ses romans, comme en témoigne cet extrait d'une lettre du 14 décembre 1845 à Mme Hanska : « Hier, je suis allé visiter en détail la Conciergerie, et j'ai vu le cachot de la reine, celui de madame Elisabeth ; c'est affreux ! [...] Quand je suis remonté vers la cour d'assises, j'ai appris qu'on jugeait madame Colonies, nièce du maréchal Sébastiani, une femme de quarante-cinq ans, que j'ai voulu voir ; or, j'ai trouvé sur le banc de la cour d'assises le vivant portrait de madame de Berny ; c'était à effrayer. Elle était folle d'un jeune homme, et, pour lui donner de l'argent qu'il dépensait avec les actrices de la Porte-Saint-Martin, elle faisait des quasi-faux en négociant des billets souscrits par des souscripteurs imaginaires. Elle a tout voulu prendre sur elle (il est en fuite) ; elle n'a pas permis à son avocat de le charger. »
Une responsabilité importante va également le sortir régulièrement de chez lui. En 1839, il a été choisi comme président de la Société des Gens de Lettres qu'il a créée un an plus tôt avec Hugo, Dumas, Frédéric Soulié, George Sand et d'autres auteurs. C'est grâce à l'action de cette Société que le droit d'auteur va prendre corps en France. Rappelons qu'à l'époque, le droit moral des auteurs n'existait pas, la protection contre les contrefaçons non plus, et la propriété littéraire ne durait que les dix années suivant la mort de l'auteur (contre 70 ans aujourd'hui).
Mais revenons à ce bureau d'où sort une grande partie de l'œuvre balzacienne. Balzac signe en 1841 un contrat avec les libraires Dubocher, Furne, Hetzel et Paulin pour l'édition de l'intégralité de la Comédie Humaine publiée en 1844. Il compose ici l'essentiel de ses plus grands romans : Ursule Mirouët, La Rabouilleuse, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette, Une Ténébreuse affaire, Le Cousin Pons, etc.
Au milieu des années 1830, il a eu avec Le Père Goriot une idée extraordinaire : faire réapparaître ses personnages d'un roman à l'autre afin de montrer l'évolution de leurs destins individuels et de peindre ainsi la société française à l'époque de la Restauration. Mais son génie se niche aussi ailleurs, dans une rupture avec le romantisme alors dominant dans les arts, en littérature et au théâtre, avec Hugo, Sand, Musset, Vigny, Dumas et d'autres. Si Balzac est le père du réalisme, c'est qu'il ne se borne pas à la peinture de l’amour sous toutes ses formes. Il y ajoute tous les petits bonheurs et toutes les misères de la vie que lui-même a vécus : il ne suffit pas d'aimer, il faut aussi se vêtir, se nourrir, se loger, travailler, se soigner, entretenir des relations sociales...
Balzac place au centre des préoccupations de ses personnages un objet qui n'est pas très romantique mais qui domine sa vie et celle de ses contemporains : l’argent. Dans La Peau de chagrin, il montre son héros Valentin inquiet non seulement de savoir s’il a conquis celle qu’il aime, mais qui craint également de ne pas posséder assez d'argent pour la reconduire en fiacre, ou encore pour s'acheter un nouveau chapeau. Une partie des lecteurs s'est scandalisée de ce genre de détails, mais d'autres se sont reconnus dans les angoisses de Valentin.
La collection muséale
Outre le bureau et le fauteuil de Balzac, la collection inclut aussi quelques tableaux, parmi lesquels la reproduction de la dernière demeure de Balzac, rue Fortuné, aujourd'hui disparue, ainsi que un buste, œuvre de David d'Angers, et un dessin de l'écrivain.