L'arrivée à Paris


« Je n'ai que deux passions, l'amour et la gloire,
et rien n'est encore satisfait et rien ne le sera jamais. 
»
Honoré à sa sœur Laure, août 1821.

Entre 1814 et 1824 (sauf en 1821-1822 lorsqu'il vit à Villeparisis), Honoré de Balzac habite dans le quartier du Marais. Ces années de jeunesse – il est né en 1799 – nourrissent son imaginaire de différentes façons. Cette période studieuse et parfois malheureuse de son existence – à laquelle il tente d'échapper par la lecture et l'écriture – sera transposée dans le début du Lys dans la Vallée. Par ailleurs, tout ce qu'il apprend entre 1816 et 1819 en travaillant chez un avoué, puis chez un notaire, ressurgira dans plusieurs de ses romans. Enfin, il fera habiter à plusieurs de ses personnages ce Marais qu'il connaît si bien.

Depuis le XVIIIe siècle, le quartier est délaissé par l'aristocratie au profit du faubourg Saint-Honoré et surtout du faubourg Saint-Germain, où il reste encore de grands terrains à bâtir. Le centre noble et élégant de la capitale se déplace d'est en ouest et y restera.
La Révolution de 1789 et l'émigration qui suit accentuent encore la transformation du Marais, dont les beaux hôtels deviennent occupés par la bourgeoisie, les pensions et les institutions d'éducation qui se développent autour du lycée Charlemagne. Les artisans et la petite industrie viendront les rejoindre. Un célèbre personnage balzacien, César Birotteau, y installera sa fabrique de parfums. Aujourd'hui encore, le quartier est peuplé au nord par des grossistes en bijouterie, maroquinerie, articles de mode, etc.

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Eugène Atget, Hôtel Groux-Marly

Balzac, en fin connaisseur de la capitale, a conscience de cette transformation du Marais. Il écrit dans La Duchesse de Langeais : « La noblesse, compromise au milieu des boutiques, abandonna la place Royale [place des Voges], les alentours du centre parisien, et passa la rivière afin de pouvoir respirer à son aise dans le faubourg Saint-Germain, où déjà des palais s'étaient élevés autour de l'hôtel bâti par Louis XIV au duc de Maine, le benjamin de ses légitimés. »
C'est donc dans un quartier abandonné par son riche passé que la famille Balzac vit dans les années 1810-1820, côtoyant tout un petit monde au charme suranné que l'écrivain fera revivre dans La Comédie humaine et dont le cousin Pons est l'archétype. Sébastien Mercier écrivait dès les années 1780 dans Le Tableau de Paris : « Là règne, non la misère, mais l'amas complet de tous les vieux préjugés : les demi-fortunes s'y réfugient. Là, se voient les vieillards grondeurs, sombres ennemis de toutes les idées nouvelles ;  [...] on y appelle les philosophes des gens à brûler.  »

Parcourons dès à présent le quartier du Marais, sur les pas de Balzac, avec en tête Le Lys dans la Vallée, Le Cousin Pons et d'autres de ses écrits.

Les Balzac s'installent à Paris

À l'automne 1814, la famille Balzac quitte Tours et s'installe à Paris, 40 rue du Temple (actuel 122), à l'angle de la rue Pastourelle. La rue du Temple débutait à l'époque à la hauteur de la rue Michel-le-Comte. Jusqu'à la rue Saint-Merri, elle portait le nom de rue Sainte-Avoye (c'est au n°47 de la rue Sainte-Avoye que le père de Balzac est décédé en juin 1829, et au n°39 qu'habitait le docteur Nacquart, médecin, ami et créancier de Balzac qui assista à ses derniers instants).

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Balzac enfant

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Mme Anne-Charlotte-Laure Sallambier Balzac, Maison de Balzac, Paris

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Anonyme, Bernard François Balzac, Maison de Balzac

Honoré a deux sœurs, Laurence et Laure, et un frère, Henry (né fin 1807 et fils adultérin de Jean de Margonne, châtelain de Saché et ami des Balzac). M. Balzac était jusqu'en 1814 directeur des vivres pour l'armée à Tours, avant d'être nommé à des fonctions similaires à Paris.

Jusqu'à son arrivée dans la capitale, la vie du jeune Honoré de Balzac fut assez mouvementée. En effet, l’enfant vécut assez fréquemment hors de sa famille. Tout d'abord chez une nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire, jusqu'à ses cinq ans, puis chez une famille à Tours, et enfin au pensionnat des Oratoriens de Vendôme, entre 1807 et 1813. Il y reçut une éducation à la fois stricte (il n'a droit qu'à deux visites de sa famille par an) et ouverte : malgré leur jeune âge, on proposait aux élèves de lire divers auteurs, entre autres Voltaire et les philosophes des Lumières. Au sujet de son enfance, Balzac écrira plus tard qu'il n'a jamais eu de mère et c'est en partie vrai. Mme Balzac, froide et distante, manifestait à son égard plus de reproches que d'amour.

Dans Le Lys dans la vallée, Balzac transpose sa propre jeunesse dans celle du héros, Félix de Vandenesse.
« Dès que je sus écrire et lire, ma mère me fit exporter à Pont-le-Voy, collège dirigé par des Oratoriens [...]. Je demeurai là huit ans, sans voir personne, et menant une vie de paria. Voici comment et pourquoi. Je n'avais que trois francs par mois pour mes menus plaisirs, somme qui suffisait à peine aux plumes, canifs, règles, encre et papier dont il fallait nous pourvoir. Ainsi, ne pouvant acheter ni les échasses, ni les cordes, ni aucune des choses nécessaires aux amusements du collège, j'étais banni des jeux [...]. Je séjournais sous un arbre, perdu dans de plaintives rêveries, je lisais là les livres que nous distribuait mensuellement le bibliothécaire. Combien de douleurs étaient cachées au fond de cette solitude monstrueuse, quelles angoisses engendrait mon abandon ? Imaginez ce que mon âme tendre dut ressentir à la première distribution de prix où j'obtins les deux plus estimés, le prix de thème et celui de version ? En venant les recevoir sur le théâtre au milieu des acclamations et des fanfares, je n'eus ni mon père ni ma mère pour me fêter, alors que le parterre était rempli par les parents de tous mes camarades. Au lieu de baiser le distributeur, suivant l'usage, je me précipitai dans son sein et j'y fondis en larmes.  »
Blessé, humilié par les traitements que sa mère lui inflige et qui attire les moqueries de ses camarades, Honoré se jure d'éblouir un jour le monde par sa gloire.

Au printemps 1813, il est retiré du collège de Vendôme. Dans l'ouvrage Dans Balzac (Seuil, 1986), Pierre Citron avance une explication possible : le jeune homme aurait écrit un texte licencieux. Honoré atterrit alors à Paris, seul, dans une institution de la rue de Thorigny que nous allons bientôt découvrir, et étudie au lycée Charlemagne.

Lorsque toute la famille s'installa dans la capitale fin 1814, Balzac ne vivra pas beaucoup plus avec les siens, tout du moins dans un premier temps, car il est placé à la pension Lepître, rue de Turenne. Ce n'est qu'à partir de l'automne 1816, après ses années de lycée, qu'il habitera le 40 rue du Temple afin de suivre des cours à la faculté de droit et travailler chez l'avoué Guillonnet-Merville, personnage droit, modeste et bienfaisant que l'on retrouvera dans La Comédie humaine sous les traits de l'avoué Derville et du juge Popinot. Chez Guillonnet-Merville, 42 rue Coquillière, Honoré apprendra autant des affaires des grandes familles qui y sont traitées que de celles des pauvres gens. C'est là, en particulier, que surviendra un épisode qui lui inspirera la trame de l'histoire du Colonel Chabert (histoire d'un homme que l'on a cru mort à la bataille d'Eylau en 1807 et qui a survécu, revenant plusieurs années plus tard réclamer son dû à sa femme, qui s'est remariée depuis et a profité de sa fortune.).

À plusieurs reprises, il croisera au 40 rue du Temple une vieille amie de la famille Balzac, Mlle de Rougemont, qui habite la même maison, avait connu Beaumarchais et éblouira Balzac par le récit de ses souvenirs.
En 1819, M. Balzac prendra sa retraite. Les parents, ayant moins de moyens, décident d'emménager à Villeparisis, laissant le futur écrivain vivre seul rue Lesdiguières.

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