L'arrivée de Lénine et Kroupskaïa à Paris
L'arrivée à Paris
Arrivant à Paris, Lénine écrivait à sa mère Maria Alexandrovna le 17 novembre 1908 : « Nous espérons que la grande ville nous donnera à tous un coup de fouet ; nous en avons assez de moisir dans ce trou de province » ; c'est ainsi qu'il qualifiait Genève. Il faut aussi préciser que la situation en Suisse avait changé. Sous la pression des autorités russes, la police helvétique commençait resserrer l'étau. Les permis de séjour étaient octroyés au compte-goutte. Les propriétaires rechignaient à louer à des réfugiés politiques dont ils ne savaient pas s'ils allaient rester ou même payer leur loyer. En janvier 1908, la police arrête Shemasko, présumé à tort coupable du hold-up de Tiflis (Tbilissi) en Juillet 1907, qui avait en fait été perpétré par Ter Petrosyan, connu sous le nom de bataille de Kamo.
À Londres, que Lénine aurait préféré, la vie est bien trop chère. Et puis c'est Paris qui s'est imposé comme centre principal de l'émigration politique russe après la révolution de 1905. Lyadov et Zhitomirsky viennent à Genève et le persuadent de à venir s'installer à Paris. Leur argument est le suivant : il y aurait moins de chances d'être espionné dans une grande ville. Malheureusement, Zhitomirsky était lui-même un agent de l'Okhrana !…
Le 24 rue Beaunier est le premier appartement de Lénine à Paris. Le soir de leur arrivée, le 14 décembre 1908, Lénine et Kroupskaïa étaient descendus à l'hôtel des Gobelins, 24 boulevard Saint-Marcel, où habitait la sœur cadette de Vladimir Ilitch, Marie Oulianov, venue faire ses études à Paris. Après quelques jours, autour du 18 décembre, ils déménagèrent dans un bel immeuble, au deuxième étage du 24 rue Beaunier. C'était un grand appartement : trois chambres dont une fut réservée à la mère de Kroupskaïa et une autre à la sœur, Marie, qui quitta elle aussi l'hôtel des Gobelins.
« 840 francs, plus les impôts (environ 60 francs), plus encore à peu près autant pour la concierge par an. Ce serait bon marché pour Moscou (4 pièces, cuisine, des débarras, l'eau et le gaz), mais c'est cher pour ici ». Ils aiment la quiétude du quartier, et si le centre « est très loin » il y aura bientôt une station de métro « à deux pas de chez nous ». « Pour le moment, Paris nous plaît », écrit-il encore à une autre de ses sœurs.
Toutefois, l'appartement se révèle très froid. Impossible de le chauffer convenablement durant l'hiver rigoureux de 1908-1909. Lénine et Kroupskaïa se résignent à passer les soirées dans les bistrots du quartier. Et à ces inconvénients s'ajoutent les désagréments de la concierge qui se plaint d'eux au propriétaire à cause du va-et-vient de tous ces étrangers, de leurs manières, de leur apparence, etc. Craignant qu'il n'y ait que peu de meubles à saisir chez eux en cas de non-paiement du loyer, le propriétaire demanda à Lénine une caution en espèces. (Fréville, Lénine à Paris)
L'amitié avec Martov
C'est ici que Lénine et Martov se lièrent d'amitié pendant leur collaboration au journal le Sotsial-Demokrat. Martov venait alors souvent chez Lénine. Ensemble ils s'occupaient de laver la vaisselle après les repas ; une tâche qui semblait tellement pénible à Martov qu'il imagina avant l'heure l'usage d'une "vaisselle jetable". Lénine, qui au contraire aimait faire la vaisselle, lui répondit : « Oui, mais pour le moment nous devons nous résigner au déplorable manque de progrès dans la science et faire usage du seul moyen à notre disposition : nos mains ».
C'est ici également que se réunit le Centre bolchevik à la veille de la réunion du Comité de rédaction élargi du Proletari au mois de juin 1909. À cette réunion assistaient des parisiens, tels que Zinoviev et Kamenev, mais aussi des délégués bolcheviks venus de Russie : Krassine, Rykov et d'autres encore. Y participait également Piatnitzki, l'organisateur des expéditions clandestines du journal depuis Leipzig, qui en parle dans ses mémoires. Il était à Paris pour une de ses rencontres régulières avec les responsables de la presse bolchévique, vraisemblablement pour mettre au point l'acheminement du journal depuis Paris.
Avancer jusqu'au numéro 3 de la rue Beaunier
L'imprimerie Union
L'imprimerie « Union » est l'une des plus importantes de la communauté russe de Paris. Le premier document attestant l'existence de l'Imprimerie est le n°1 de la revue russe "Le Drapeau Prolétarien", dirigée par Rappoport. Le nom de l'entreprise est "Kooperativnaïa typografia Soïouz", c'est-à-dire "Coopérative typographique Union", au 3 rue Beaunier. C'est semble-t-il la première adresse de ce qui allait devenir l'Imprimerie Union. Ses fondateurs, Volf Chalit et Dimitri Snegaroff, étaient déjà implantés à Paris et auraient peut-être collaboré à l'imprimerie du POSDR en 1909.
Elle demeura à cette adresse jusqu'en novembre 1910, date à laquelle elle déménagea au 50 boulevard Arago. Entre novembre 1910 et août 1912, elle imprima la revue clandestine bolchévique Rabotchaïa Gazeta, dont parurent 9 numéros. Ce journal était dirigé par Lénine avec l'aide de Kroupskaïa. Gorky lui apporta une aide considérable. Des mencheviks pro-parti (partisans de Plekhanov et opposés aux "liquidateurs") y participaient également. Il eut un succès réel puisque son tirage atteignit jusqu'à 6000 exemplaires. Il rapportait notamment nombre d'échos sur l'activité socialiste en Russie. En 1914-1916, l'imprimerie « Union » imprima également le quotidien menchevik internationaliste, "Golos", remplacé successivement par "Natche Slovo" puis par "Natchalo".
L'imprimerie se fera aussi connaître dans les milieux artistiques et littéraires. En 1913 elle se verra confier l'impression de la revue "Les Soirées de Paris" d'Apollinaire, Serge Férat, et de la baronne d'Œttingen.