La salle du Jeu de Paume
Après des années de faste et de rayonnement, les ombres du déclin commencent dangereusement à assombrir le ciel jusqu’à présent immaculé du Versailles utopique de Louis XIV. A la mort de Louis XV en 1774, déjà, la France ne peut plus se vanter de son influence sur ses voisins européens. Celui qui fut le « Bien-aimé » mais qui n’a jamais caché son désintérêt pour la politique, ne cessera de décevoir ses contemporains, à tel point que sa mort sera célébrée dans Paris par des festivités. Aussi, l’avènement de Louis XVI ne pourra rien pour redorer le blason de la France. L’artisanat et les techniques nouvelles qui ont fait de la France un royaume novateur et influent ne jouissent plus du rayonnement dont ils étaient l’objet depuis le XVIIe siècle. Petit à petit, c’est la réputation tout entière du royaume qui perdra de sa grandeur, même si la France s’affirmera cependant à travers les siècles comme une référence en matière d’art et d’artisanat.
Un doux fumet de Révolution
Après les fastes du XVIIe et du début du XVIIIe, l’heure est venue pour le peuple de faire entendre sa voix. Leur bouc-émissaire ne sera autre que le couple royal, Marie-Antoinette et Louis XVI, coupable d’avoir hérité d’un trône fondé sur l’aliénation de la liberté et la soumission forcée d’un peuple qui convulse sous les taxes et les sacrifices. Pour construire son rêve, une moyenne de dix hommes par jour a trouvé la mort pendant une quarantaine d’années sur les chantiers titanesques du Roi Soleil. Pour transformer une terrasse en galerie resplendissante et l’agrémenter de miroirs qui, dit-on, coutaient chacun l’équivalent de sept années de dur labeur pour un ouvrier - origine, d'ailleurs, de la célèbre malédiction qui prévoit sept ans de malheur à quiconque briserait malencontreusement un miroir - l’on n’hésite plus à inventer de nouveaux impôts chaque mois, histoire d’en faire profiter en même temps l’Eglise et la noblesse. La taille, la capitation, la gabelle, le dixième, transformé ensuite en vingtième, ou encore les traites sont autant d’allocations forcées versées au roi, que l'on estime à cette époque équivalentes à environ 20% des revenus des imposables. A cela, viennent bien sûr s’ajouter les impôts versées aux privilégiés qui eux, n’en paient pratiquement aucun, la taxation atteignant ainsi jusqu’à 40% du revenu du contribuable. Une disparité sociale qui sera de plus en plus mal acceptée par le peuple, bercé par les idéaux des humanistes et des Lumières.
Une gravure de l’artiste et pamphlétaire Laignet, contemporain de Louis XIV, transcrit bien cette saturation du peuple, considéré par les « Grands » comme une vache à lait que l’on peut rançonner jusqu’à plus soif. Sur la gravure, nous pouvons lire :
« Plus on a de moyens, plus on en veut avoir / Ce pauvre apporte tout, bled, fruit, argent, salade / Ce gros Milord assis, prest à tout recevoir / Ne luy veut pas donner la douceur d'une œillade ».
Ainsi, une révolution populaire apparait comme la seule réponse possible à ces disparités sociales. Ce n’est que le 4 aout 1789, lorsque l’abolition des privilèges sera décidée par décret par l’Assemblée constituante, que la France sera libérée du régime féodal dans lequel les plus hauts placés se complaisaient depuis le Moyen-âge. Et c’est justement dans ce lieu où tant de décisions ont été prises, démantelant l’Ancien Régime pièce par pièce, que nous allons maintenant nous attarder : la salle du Jeu de Paume.
Dans la tourmente
Entrons maintenant dans ce qui fut le symbole du soulèvement du peuple. Cette salle du Jeu de Paume, de plan rectangulaire, n’a à première vue rien d’époustouflant. Mais approchez-vous au centre de la statue de Bailly, président du Tiers-Etat avant de devenir maire de Paris en 1789. Cette statue en marbre réalisée par René de Saint-Marceaux représente Bailly en train de prêter serment. Suite à la fermeture de la salle des Menus Plaisirs par ordre royal, où devait se réunir l’Assemblée Nationale nouvellement autoproclamée par le Tiers-Etat rejoint par certains membres du clergé et de la noblesse, les députés se rendent alors dans un gymnase proche, propriété privée du roi et de sa famille, et prennent possession des lieux, jurant de ne pas se séparer avant de donner au royaume une nouvelle Constitution. C’est Bailly, en tant que président de l’Assemblée, qui sera le premier à prêter serment par ces mots : « Nous jurons de ne jamais nous séparer et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeraient, jusqu’à ce que la Constitution du royaume fût établie et affermie par des fondements solides ». Ainsi naquit le fameux Serment du Jeu de Paume. C’est donc bel et bien cette salle, qui n’avait à l’origine rien pour entrer dans les mémoires, qui deviendra cependant le théâtre de la révolte la plus importante de notre Histoire.
La Salle du Jeu de Paume apparait comme le sanctuaire d’une époque révolue et la genèse d’une aire nouvelle. Au mur, vous apercevrez la copie du célèbre tableau de David réalisée en 1883 par Merson, Le serment du jeu de Paume, où Clergé, Noblesse et Tiers-Etat symbolisent leur union par cette poignée de main au premier plan, succédés par Bailly représenté au second plan en train de prêter serment, le texte fondateur dans sa main. Les signatures originales sont exposées sous vitrine et les bustes de certains des signataires les plus emblématiques trônent dans la salle de part et d’autre du Bailly de Saint-Marceaux, contribuant à faire de cette salle un véritable musée de la Révolution.
L’art de retourner sa veste
La chute de l’Ancien Régime signe également le déclin des pratiques qui y sont associées. Aussi, artisans au service de la cour ont vite fait de s’éloigner de la famille royale et de certains nobles, comme l’avait précédemment fait Vatel en prenant ses distances lors de la disgrâce de Fouquet. Pour les artistes officiels, la tâche est délicate. Duplessis, qui avait notamment réalisé l’un des plus célèbres portrait du roi Louis XVI en costume de sacre, voit sa carrière brusquement interrompue dès le début de la Révolution. Il retourne ainsi dans sa région natale, près de Carpentras, avant de refaire un court séjour à Versailles où il sera en charge des galeries du château, avant de mourir quelques années plus tard.
La gastronomie va également souffrir de la Révolution, puisque les grands cuisiniers, autrefois au service de la royauté et de la noblesse, sont contraints de s’exiler ou de se reconvertir. De là naitront les premiers grands restaurants parisiens, fréquentés notamment par les nouveaux riches de la Révolution. Les musiciens, eux, ont la chance de devenir les premiers professeurs du Conservatoire de Paris, la musique étant moins étroitement liée à l’image de la monarchie absolue qu’ont pu l’être les peintres ou les sculpteurs. Jean-Louis Fargeon , parfumeur en titre de Marie-Antoinette, s’arrange de son côté pour vendre son affaire. Élisabeth Vigée-Lebrun, portraitiste de Marie-Antoinette, s'exile en Italie. Elle errera entre Rome, Venise, Pise et Florence. Inscrite sur la liste des émigrés en 1792, elle perd ses droits civiques. Elle voyagera ensuite en Russie, en Angleterre et en Suisse avant de revenir enfin en région parisienne en 1809. Pour tous, c’est la fin d’une époque de fastes et de richesse. A présent, chacun doit soit se faire oublier, soit tenter de redorer son image en renonçant, parfois, à ses idéaux. C’est leur sacrifice pour ne pas se retrouver sur le banc des accusés.
La Révolution ne marque cependant pas un quelconque déclin dans la production artistique de l’époque. Au contraire, c’est même une véritable révolution artistique qui s’opère, puisque pour la première fois les canons et les académismes sont remis en question. Le personnage le plus emblématique de cette transition n’est autre que David, le fameux peintre néoclassique. Formé par l’Académie Royale de peinture et de sculpture, il finira, sous la Révolution, par se rallier à la cause adverse afin de combattre cette même institution qui lui avait ouvert les portes de la gloire. Il votera d’ailleurs la mort de Louis XVI puis se rapprochera définitivement de Napoléon qu’il a en admiration, devenant son peintre officiel. Mais, encore une fois l’Histoire lui jouera des tours. Accusé sous la restauration d’avoir été un révolutionnaire régicide et un partisan de l’Empire, il est contraint de s’exiler en Belgique, où il finira sa vie en continuant, tant bien que mal, son activité artistique.
Jean-Louis Fargeon aussi va devoir se détacher de son passé d’artiste royal. Après être retourné quelques temps à Montpellier, sa ville d’origine, pendant les heures les plus terribles de la Révolution, il retourne vers le Nord de la France et décide de rallier Paris. Il n’a qu’un moyen de reprendre sa carrière et de faire fortune à nouveau : travailler pour la cour impériale. Républicain mais non révolutionnaire, il échappa de peu à la guillotine pendant la Terreur. Malgré ses convictions politiques, il est resté fidèle à la reine déchue jusqu’à la fin. Mais, ne pouvant plus compter sur les bonnes grâces de Marie-Antoinette, il décide alors de devenir le fournisseur de l’impératrice Joséphine.
La Révolution engendre aussi un changement radical du mode de vie et des mœurs des français. Tout comme en peinture où le néo-classicisme prône un retour à une certaine austérité, la mode se veut moins extravagante, plus élégante et sobre. Il en est de même pour le parfum. Même si la chute des riches commanditaires de l’Ancien Régime a forcé plus d’un parfumeur à mettre la clé sous la porte, l’on continue à trouver sur le marché des eaux parfumées, que l’on désigne par des petits noms dans l’air du temps, tels que « Elixir de la guillotine » par exemple. Le choix du parfum, plus qu’une affirmation de la personnalité, devient avant tout un révélateur des opinions politiques. On délaisse les parfums, signature de l’Ancien Régime, au profit des « eaux parfumées », plus légères et moins provocantes. On abandonne les odeurs animales pour des senteurs plus florales et moins connotées. « Fards violents, perruques, robes à paniers » sont également « balayés » par la Révolution, comme l’explique l’historien Louis Peyron dans Parfums et odeurs de la Révolution.
Pour les hommes, c’est également l’avènement de l’Eau de Cologne, cette préparation religieuse apparue au XVIe siècle très appréciée de Napoléon qui la popularisera en son temps. On conçoit même pour l’empereur un flacon spécial qu’on appelle le « rouleau », afin qu’il puisse le glisser dans ses bottes lors de ses campagnes. De manière générale, le flacon lui-même devient d’une importance capitale, recevant une attention toute particulière. Habillement et parfum deviennent au fur et à mesure deux arts inséparables qui conduiront, au fil des années, à la naissance des parfumeurs-couturiers, au détriment des parfumeurs gantiers qui, eux, disparaissent peu à peu.
Conclusion
Versailles, c’est un peu là où tout a commencé, mais également là où tout s’est arrêté. Aujourd’hui, le rayonnement artistique de la France renvoie toujours aux années glorieuses du règne de Louis XIV, lorsque le royaume éblouissait tous ses voisins par sa qualité, son ambition et sa puissance. Après le faste des derniers souverains de l’Ancien Régime, la ville retrouve un calme similaire à celui qu’elle avait connu lorsqu’elle n’était encore qu’un sinistre marécage bordé par le domaine de chasse des rois de France.
Lorsque la famille royale quitte les lieux le 6 octobre 1789, le château est abandonné. Très vite, il sera vidé et vandalisé. On organise heureusement des convois au Louvre, afin de mettre à l’abri les symboles les plus explicites du faste de la monarchie. Argenterie et œuvres d’art sont mis en vente.
Les artistes et artisans n’ont de d’autres choix que l’exil, vers la capitale, nouveau symbole du pouvoir, ou vers la province, souvent seul échappatoire à la Terreur qui fait tomber les têtes les unes après les autres. Paris, quelques décennies plus tard, s’affirmera d’ailleurs comme la capitale des arts, la source d’inspiration du monde. Ville lumière où naissent toutes les avant-gardes, elle a su, contrairement à Versailles, se faire une place de choix, malgré les époques et les bouleversements politiques. Alors que Versailles était le rêve d’un roi, Paris, au contraire, s’affirme comme la ville d’un peuple.
Versailles n’est plus que le souvenir d’un rêve lointain, à l’époque ou l’individu n’était qu’une masse au service des Grands du royaume. Dynamique, elle sait aujourd’hui user de ses atouts pour charmer les visiteurs. Mélancolique, elle l’est sûrement un peu, puisque jadis trônait ici le centre du monde. Bien des siècles plus tard, pourtant, c’est le monde qui vient à Versailles, s’inspirant de son histoire et de sa renommée, de ses erreurs et de ses avancées.