La messe à Saint-Sulpice


Deux événements forts contrastés de la vie du jeune poète se sont passés dans cette église. Tout d'abord c'est dans la chapelle de la Vierge de Saint-Sulpice, qu'est célébré l'office funéraire de Sophie Hugo le 28 juin 1821, un jour après sa mort provoquée par une grave fluxion de poitrine. Victor Hugo raconté par Adèle Hugo rendra hommage à la mère du poète :

Ah ! c'est vrai, vous devez souffrir ! Tout est âcre, présent et passé. Si vous remontez de l'homme à l'enfant, vous trouvez votre mère. Penchée sur vous, âme et corps, elle dirigea vos pas incertains et votre pensée balbutiante. Vous lui apportiez vos vers boiteux et vos rimes dissonantes ; jamais elle ne vous railla et gravement vous reprenait. Vous sanglotez à ces souvenirs. La mère grandit avec vous, la flamme s'affermit sur votre front. La mère était toujours là, applaudissant à vos succès et pour elle les défaites n'étaient qu'un aiguillon.

Sophie Hugo mère habitait depuis juillet 1820, avec ses deux fils Victor et Eugène, au 10, rue de Mézières, dans un appartement situé au rez-de-chaussée et qui avait la jouissance d'un petit jardin. Cette mort chagrina le poète comme le dit le texte d'Adèle Hugo, mais paradoxalement allait aussi raviver l'espoir de se marier avec Adèle Foucher. En effet, sa mère était le principal obstacle au mariage qui voulait pour son fils une jeune femme de la haute société. Ce décès allait avoir des conséquences beaucoup plus tragiques pour Eugène. Eugène, jaloux des succès littéraires de son jeune frère et qui va bientôt perdre la femme de son cœur (il aime Adèle Foucher) perd avec sa mère son principal soutien affectif. Il va bientôt sombrer dans une folie qui le conduira jusqu'à la mort…
Sophie Hugo, même morte, continuera de veiller sur son fils chéri. Et Victor Hugo, lorsqu'il sera devenu un fervent républicain, cherchera à réconcilier son évolution politique avec le royalisme de sa mère. Le souvenir  de son œil sur son lit de mort reste à jamais gravé en lui comme une lanterne :  

Oh ! jamais quel que soit le sort, le deuil, l'affront,
La conscience en moi ne baissera le front ;
Elle marche sereine, indestructible et fière ;
Car j'aperçois toujours, conseil lointain, lumière,
À travers mon destin, quel que soit le moment,
Quel que soit le désastre ou l'éblouissement,
Dans le bruit, dans le vent orageux qui m'emporte,
Dans l'aube, dans la nuit, l'œil de ma mère morte !

(Écrit en 1846, Les Contemplations, Hetzel, 1856)

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Église de Saint-Sulpice, La Chapelle de la Vierge
Photo: bogitw via Pixabay CC-PD

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Eugène Agtet, La Chapelle de la Vierge, Église de Saint-Sulpice, 1850

C'est aussi à Saint-Sulpice, dans cette même chapelle où il avait célébré la mort de sa mère, que Victor Hugo s'est marié le 12 octobre 1822. Mais ce mariage avec Adèle Foucher n'était pas gagné d'avance. En effet, sa mère ne tenait pas du tout à ce que son futur grand poète épousa une simple bourgeoise… Elle avait d'autres ambitions pour lui. Cela étant dit, il faut reconnaître qu'elle avait peut-être pressenti qu'Adèle n'était pas la meilleure épouse pour son fils. Victor Hugo était de tempérament emporté et passionné, alors qu'Adèle était froide et taciturne. La mésentente du couple se verra d'ailleurs assez vite. Et après la naissance d'Adèle, leur 5ème enfant (le premier mourra a trois mois), ils feront chambre à part.
Mais pour Victor, depuis qu'il a déclaré sa flamme à Adèle, le 19 avril 1819 (il a 17 ans), rien ne pourra l'en faire changer d'avis. Compagne de ses jeux d'enfant, Victor est tombé amoureux de la jeune fille à la beauté très espagnole (il la nommera d'ailleurs parfois "Pepita", en souvenir d'une jeune fille espagnole qu'il avait connu enfant). Il faut dire qu'il l'idéalise, la sublime, ce qui l'empêche de la voir réellement. Ce que confirme d'ailleurs l'intéressée dans une lettre de janvier 1822 : je suis la femme la plus ordinaire qui existe; je dis ce que je pense, tu t'en apercevras un jour, et alors tu m'aimeras moins et cela fera mon malheur. Mais Victor Hugo ne veut rien entendre : le seul défaut que je te trouve, c'est l'ignorance de ton angélique nature. Et effectivement, le poète va la mettre sur un piédestal dans son poème intitulé A Toi, paru dans Odes et Poésies diverses (Pélicier, 1822) :

O Vierge! A mon enfance un Dieu t'a révélée,
Belle et pure; et rêvant mon sort mystérieux,
Comme une blanche  étoile aux nuages mêlée,
Dès mes plus jeunes ans je te vis dans les cieux!

Lorsque la mère d'Hugo meurt en juin 1821, l'obstacle majeur à ce mariage est écarté, mais il faut encore convaincre son père et les Foucher. Ceux-ci partent, après la mort de la mère d'Hugo, pour Dreux avec leur fille, afin de s'éloigner de l'encombrant prétendant (les parents d'Adèle ne sont pas, eux aussi, pour ce mariage, sans doute par réaction d'orgueil au refus de Mme Hugo). Son obstination va alors se manifester de manière éclatante. Il quitte Paris pour la suivre à Dreux avec seulement quelques sous en poche. Et, il obtiendra une entrevue avec le père d'Adèle qui sera touché par sa démarche. Mais le mariage n'est pas encore fait. Il lui reste à convaincre son père, ce qu'il obtient facilement, et à obtenir les papiers officiels pour le mariage religieux. Son père lui enverra une fausse attestation reconnaissant un baptême à l'étranger et Lamennais lui fera un billet de confession sans le confesser... Muni de tous ces documents, il peut enfin dire à Adèle, le 4 octobre 1822 : Notre histoire, chère amie, aura été une preuve de plus de cette vérité que vouloir fermement c'est pouvoir. Et effectivement,  Victor Hugo et Adèle Foucher se marient le 12 octobre 1822, en l'église Saint-Sulpice. Les témoins du marié sont Félix Biscarrat (qui a connu Victor Hugo lorsqu'il était jeune répétiteur à la pension Cordier) et Alfred de Vigny. Ce dernier se lia d'amitié avec Victor Hugo en 1820. Ils furent très proches au départ ; Vigny collabora notamment au Conservateur littéraire, mais cette amitié allait se rompre lorsque Victor Hugo commença à prendre ses distances vis-à-vis de la royauté. Vigny note dans son Journal le 23 mai 1829 : Le Victor que j'aimais n'est plus. Il était un peu fanatique de dévotion et de royalisme ; chaste comme une jeune fille, un peu sauvage aussi ; tout cela lui allait bien ; nous l'aimions ainsi. A présent, il aime les propos grivois et il se fait libéral ; cela ne lui va pas.

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Le Duc de Rohan

La cérémonie religieuse fut célébrée par le duc de Rohan, tout juste ordonné prêtre (Victor Hugo lui avait rendu visite à La Roche-Guyon en août 1821, à la suite de son invitation). Curieusement, le récit du mariage par Adèle Hugo (dans VH raconté par Adèle Hugo) ne transpire pas le grand bonheur ! Adèle met l'accent sur des signes prémonitoires annonçant les nuages futurs du couple :

La cérémonie religieuse eut lieu à Saint-Sulpice, à la chapelle de la vierge. Quatre mois avant on y avait porté le cercueil de Mme Hugo. Le Prie-Dieu des mariés remplaçait la bière et le voile blanc de l'épousée le drap noir qui recouvrait la mère. Trop nombreux pour dîner dans l'appartement de Mme Foucher, le repas de noces se fit dans une salle du Conseil de guerre. Une cloison qu'on ouvrait à volonté le séparait du tribunal : là même où on avait jugé et condamné Lahorie. Le deuil, là encore, était derrière le bonheur.

Les deux faits relatés ici sont authentiques. Pierre Foucher, fonctionnaire au Ministère de la Guerre, avait un appartement de fonction au Conseil de guerre, situé dans l'hôtel de Toulouse (entre la rue du Regard, le rue du Cherche-Midi et le bd Raspail), qu'il conserva pendant sa retraite. Sophie Hugo suivit d'ailleurs le procès du général Lahorie chez les Foucher. Et c'est bien dans cette même chapelle de la Vierge de l'église Saint-Sulpice que les trois fils Hugo assistèrent aux funérailles de leur mère… mais non pas quatre mois avant le mariage de Victor, mais seize mois avant.

Évocations littéraires

Dans Les Misérables, l'église Saint-Sulpice apparaît à deux reprises. La première, lorsque que Mademoiselle Gillenormand y conduit son neveu Marius pour suivre la messe. Là, le père de Marius, un colonel de la Grande Armée, pouvait le contempler à son insu :

L'enfant, qui s'appelait Marius, savait qu'il avait un père, mais rien de plus. Personne ne lui en ouvrait la bouche. Cependant, dans le monde où son grand-père le menait, les chuchotements, les demi-mots, les clins d'yeux, s'étaient fait jour à la longue jusque dans l'esprit du petit, il avait fini par comprendre quelque chose, et comme il prenait naturellement, par une sorte d'infiltration et de pénétration lente, les idées et les opinions qui étaient, pour ainsi dire, son milieu respirable, il en vint peu à peu à ne songer à son père qu'avec honte et le cœur serré.
Pendant qu'il grandissait ainsi, tous les deux ou trois mois, le colonel s'échappait, venait furtivement à Paris comme un repris de justice qui rompt son ban et allait se poster le dimanche à Saint-Sulpice, à l'heure où la tante Gillenormand menait Marius à la messe. Là, tremblant que la tante ne se retournât, caché derrière un pilier, immobile, n'osant respirer, il regardait son enfant. Ce balafré avait peur de cette vieille fille.

Plus tard dans le récit, alors que Marius est devenu jeune homme, c'est dans cette église qu'il va apprendre de la bouche de M. Mabeuf, un vieil homme ruiné qui fut bouquiniste, l'amour que lui portait son père :

C'est à cette place-là que j'ai vu venir pendant des années, tous les deux ou trois mois régulièrement, un pauvre brave père qui n'avait pas d'autre occasion et pas d'autre manière de voir son enfant, parce que, pour des arrangements de famille, on l'en empêchait. Il venait à l'heure où il savait qu'on menait son fils à la messe. Le petit ne se doutait pas que son père était là. Il ne savait même peut-être pas qu'il avait un père, l'innocent! Le père, lui, se tenait derrière ce pilier pour qu'on ne le vît pas. Il regardait son enfant, et il pleurait. Il adorait ce petit, ce pauvre homme! J'ai vu cela. Cet endroit est devenu comme sanctifié pour moi, et j'ai pris l'habitude de venir y entendre la messe. Je le préfère au banc d'œuvre où j'aurais droit d'être comme marguillier. J'ai même un peu connu ce malheureux monsieur. Il avait un beau-père, une tante riche, des parents, je ne sais plus trop, qui menaçaient de déshériter l'enfant si, lui le père, il le voyait. Il s'était sacrifié pour que son fils fût riche un jour et heureux. On l'en séparait pour opinion politique.

Le père de Marius avait combattu aux côtés de Napoléon, l'usurpateur ! Délit impardonnable pour un fervent royaliste de la trempe de M. Gillenormand. 

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