La pension Vauquer


Selon les spécialistes Jacques Hillairet et Philippe Boisseau, c’est au 30 rue Tournefort, anciennement rue Neuve Sainte Geneviève, que Balzac plaça la pension Vauquer. La pension héberge des personnages emblématiques de La Comédie humaine, notamment le Père Goriot, ancien négociant en fin de vie, Rastignac, jeune étudiant provincial, et Vautrin, bagnard au sombre passé et aux noirs projets. C'est ici que les trois hommes vont faire connaissance.

Cette pension n'est pas uniquement un décor du Père Goriot : elle en est le personnage principal.
Alors que dans ses précédents romans, la description avait surtout une fonction pittoresque ou historique, elle acquiert ici une dimension universelle. « Ici, écrit Maurice Bardèche dans Balzac romancier, nous quittons l'histoire pour l'exploration sociale, pour une sorte de voyage de Bougainville dans les misères de Paris.  […] La pension Vauquer  [est]  document et symbole.  […] La description donne le ton au récit parce que la demeure donne le ton elle-même aux êtres et aux vies. » 

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Daumier, "Le père Goriot", 1824

C'est l’une des nombreuses pensions de famille de la capitale qui héberge des petites gens, des étudiants ou des personnes touchées par divers malheurs, et dont, explique Balzac,  « le beau Paris ignore  [les] figures blêmes de souffrances morales ou physiques. » Nous sommes en 1819 et le quartier, en plus d'être pauvre, est retiré et silencieux.  « L’homme le plus insouciant s’y attriste comme tous les passants, le bruit d’une voiture y devient un événement, les maisons y sont mornes, les murailles y sentent la prison » , dit encore Balzac. Mme Vauquer est comme la misère collée sur le dos de la misère. Elle mène ses petites affaires en exploitant comme elle le peut ses pensionnaires 

La bâtisse se tient quelque part dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, aujourd'hui rue Tournefort. Le bâtiment qui se trouve au numéro 30 serait son adresse la plus probable, selon les spécialistes Jacques Hillairet, autour du Dictionnaire historique des rues de Paris, et Philippe Boisseau, auteur du site Internet www.parisrevolutionnaire.com. Toutefois, il est également probable que Balzac ait pris comme modèle différents bâtiments de la rue et du quartier, de même qu'il crée ses personnages en fusionnant des traits empruntés à ses connaissances.

« La maison où s’exploite la pension bourgeoise appartient à madame Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l’endroit où le terrain s’abaisse vers la rue de l’Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent ou la descendent rarement.  […] La façade  [de la pension] , élevée de trois étages et surmontée de mansardes, est bâtie en moellons et badigeonnée avec cette couleur jaune qui donne un caractère ignoble à presque toutes les maisons de Paris.  […]Les deux appartements du second étaient occupés, l’un par un vieillard nommé Poiret ; l’autre, par un homme âgé d’environ quarante ans, qui portait une perruque noire, se disait ancien négociant, et s’appelait monsieur Vautrin. Le troisième étage se composait de quatre chambres, dont deux étaient louées,  […] l’autre, par un ancien fabricant de vermicelles, de pâtes d’Italie et d’amidon, qui se laissait nommer le Père Goriot. Les deux autres chambres étaient destinées aux oiseaux de passage […]. En ce moment, l’une de ces deux chambres appartenait à un jeune homme venu des environs d’Angoulême à Paris pour y faire son droit  […]. Eugène de Rastignac, ainsi se nommait-il, était un de ces jeunes gens […]qui se préparent une belle destinée en calculant déjà la portée de leurs études, et les adaptant par avance au mouvement futur de la société, pour être les premiers à la pressurer. »  (Le Père Goriot)

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Rastignac et Vautrin dans la cour de la pension Vauquer

Rastignac et Vautrin vont découvrir que le pauvre Goriot, qui loge à l'étage le plus élevé et le plus humble de la pension, est le père de la somptueuse Anastasie de Restaud et de Delphine de Nucingen et qu'il sacrifie tout à la réussite de ses filles. Dès leur première apparition, on comprend que Vautrin a des choses à cacher, qu'il est cynique et prêt à tout, et que Rastignac est disposé à bien des manœuvres pour parvenir à ses ambitions.
 « Eugène de Rastignac avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus. Sa tournure, ses manières, sa pose habituelle dénotaient le fils d’une famille noble, où l’éducation première n’avait comporté que des traditions de bon goût. S’il était ménager de ses habits, si les jours ordinaires il achevait d’user les vêtements de l’an passé, néanmoins il pouvait sortir quelquefois mis comme l’est un jeune homme élégant. Ordinairement il portait une vieille redingote, un mauvais gilet, la méchante cravate noire, flétrie, mal nouée de l’étudiant, un pantalon à l’avenant et des bottes ressemelées.  [...] Vautrin, l’homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était un de ces gens dont le peuple dit : Voilà un fameux gaillard ! Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un roux ardent.  [...]Il avait prêté plusieurs fois de l’argent à madame Vauquer et à quelques pensionnaires ; mais ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre, tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolution. »  (Le Père Goriot)

Le Père Goriot est un roman sur le drame de la paternité, que Balzac ausculte à travers les relations que Goriot entretient avec ses deux filles. Lorsqu'il l'écrit en 1834, le romancier est en train de devenir jeune père. En juin, sa maîtresse Marie du Fresnay a une fille, Marie-Caroline, qu'il ne reconnaît pas. Cette première paternité est un choc pour lui.

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