La colonne Médicis


Regardez au loin sur votre droite (vers l'Ouest), et vous verrez se dresser une aiguille de pierre. Il s'agit d'une colonne astrologique édifiée par la volonté de Catherine de Médicis. Ce monument insolite, tant par sa nature que par son emplacement (il se trouve en effet adossé à l'actuelle Bourse du Commerce, autrefois la Halle aux blés, monuments, on en conviendra, davantage consacrés aux nourritures terrestres plutôt qu'aux spirituelles). Il fut édifié en 1574 en appendice à l'Hôtel de Soissons que la régente s'était fait construire et dont une porte lui permettait d'accéder à la colonne. 

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Israël Silvestre, L'Hôtel de Soissons, gravure, 1650

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Section de la Colonne érigée en l'hotel de Soissons par Catherine de Médicis,
Gravure, 1750

Son érection est donc liée à l'abandon par la Reine de l'édification du Palais des Tuileries. La véritable fonction de cette colonne qui fut pendant longtemps la seule et la plus haute de Paris est sujette à controverses. Certains ont pu y voir un hommage, certes tardif mais néanmoins spectaculaire, à son défunt époux, le roi Henri II, mort 15 ans auparavant (le 30 juin 1559) à l'issue d'un tournoi dont le caractère fatal avait été pourtant prédit à la Reine dès 1552 par divers astrologues consultés par elle, dont bien entendu le très célèbre Nostradamus qui est censé évoquer ce drame dans le quatrain XXV de ses prophétiques Centuries (publiées en 1555) :

Le lyon jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans sa cage d'or les yeux lui crèvera
Deux classes, une seulement, puis mourir
Mort cruelle

L'hypothèse d'une pieuse intention est renforcée par l'observation des cannelures de la colonne qui présentent un monogramme semblant figurer le H initial du roi défunt entrecroisé avec le C de son épouse apparemment inconsolable. Mais le dessin comporterait aussi deux D confrontés l'un à l'autre, dans lesquels, on a voulu voir une allusion à la maîtresse adorée du roi, la belle Diane de Poitiers. Comme il est hautement invraisemblable que la dévotion de Catherine envers son époux volage l'ait amenée à pousser la complaisance jusqu'à faire figurer sur ce monument prétendument dressé à la piété conjugale, une allusion à l'infortune qu'elle dut supporter du vivant du roi, il est plus raisonnable de se rallier à la thèse qu'on a aussi émise et qui voit dans ces deux « D » les initiales de la formule « Donum Dei » (Don de Dieu) couramment utilisée comme formule propitiatoire dans la tradition alchimique.

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Monogramme de la colonne Médicis
Le "H" de Henri II "C" de Catherine de Médicis ou les deux "D" de "Donum Dei"?

Ce qui est certain en tout état de cause, c'est que cette colonne creuse, comprend un escalier à vis comptant 147 marches et permettant d'accéder au sommet. Elle servit d'observatoire astronomique à l'astrologue favori de Catherine, le florentin Cosimo Ruggieri.

La Reine l'avait fait venir d'Italie et il était réputé se livrer à sa demande à toute une série d'opérations de magie et de nécromancie, qui lui valurent d'ailleurs, quelques années après la disparition de sa protectrice, de sérieux démêlés avec la justice puisqu'on alla même jusqu’à l'accuser d'avoir pratiqué des exorcismes visant à attenter à la vie d'Henri IV, avant même l'assassinat de ce « bon » roi par Ravaillac en 1610.

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François Clouet, attribué à (1520-1572),
"Portrait de Catherine de Médicis", vers 1555, Londres- Victoria and Albert Museum

L'hypothèse astrologique est encore corroborée par le fait que les quatre angles du chapiteau depuis lequel Ruggieri vaticinait le regard tourné vers les étoiles, sont très exactement orientés dans le sens des quatre points cardinaux.

Ici encore, pour nous offrir une fulgurante synthèse de tous ces mystères qui finiraient par nous donner le tournis, il semble utile de nous en remettre au génie littéraire, pour mieux graver en nos esprits la substance même de ce qu'il nous suffit de retenir.

C'est en l'occurrence et encore une fois Balzac qui dans son roman  historique Sur Catherine de Médicis propose à notre méditation ces pages décisives :

À cette époque, les Sciences Occultes se cultivaient avec une ardeur qui peut surprendre les esprits incrédules de notre siècle si souverainement analyste ; peut-être verront-ils poindre dans ce croquis historique le germe des sciences positives, épanouies au dix-neuvième siècle, mais sans la poétique grandeur qu'y portaient les audacieux chercheurs du seizième siècle ; lesquels, au lieu de faire de l'industrie, agrandissaient l'Art et fertilisaient la Pensée. L'universelle protection accordée à ces sciences par les souverains de ce temps était d'ailleurs justifiée par les admirables créations des inventeurs qui partaient de la recherche du Grand Œuvre pour arriver à des résultats étonnants. H. de Balzac, Sur Catherine de Médicis. Deuxième partie : La confidence des Ruggieri, in Études philosophiques.

Coup d’œil : Poursuivant notre descente de la rue Saint-Martin, sur notre droite, aux n°209-211, nous remarquons la façade d'une école communale portant le nom de la rue et qui semble à première vue ordinaire, si ce n'est que sur son fronton se trouve une sorte de bas-relief représentant la nef de Paris, avec en arrière-plan trois lieux symboliques (de gauche à droite : l'Hôtel de ville, Notre-Dame coincée entre le mât et la voile et enfin l'Institut). Comment ne pas penser qu'on a voulu suggérer ainsi les trois fonctions  principales de Paris : capitale politique et administrative, centre religieux et lieu du savoir et de la connaissance. L'œuvre rend aussi plus concrète la division traditionnelle entre la rive droite (Hôtel de Ville), lieu de la vie matérielle et la rive gauche (l'Institut) consacrée aux hautes spéculations intellectuelles, deux activités qui ne sauraient trouver leurs sens, dans leur opposition même, sans la médiation de la vie spirituelle et matérielle enchâssée au cœur même de la ville dans l'île de la Cité (Notre-Dame).

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La nef de Paris sur le fronton de l'école Saint-Martin
Photo: Blue Lion Guides

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Détail du fronton de l'école Saint-Martin avec la nef de Paris
Photo: Jacques Cuny, Les armoiries de la ville de paris sur les bâtiments

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