C'est à ce carrefour que se trouve une autre borne significative, la Fontaine du Vertbois qui figure une nef (symbole, comme nous l'avons vu, central de l'univers parisien) transportant une pierre cubique (la pierre philosophale?) et un dauphin qui semble comme enveloppé dans les vagues. Dans ses Demeures philosophales, l'énigmatique Fulcanelli, l'un des représentants majeurs de l'interprétation ésotérique et symbolique des principaux monuments de  France, consacre un très long développement au foisonnement de symboles maçonniques et alchimiques qui abondent dans ce bas-relief. On y trouve notamment un chien, animal traditionnellement associé à Mercure dont le casque (pétase) et le caducée sont bien identifiables dans la partie basse de l'œuvre qui représenterait donc, toujours selon Fulcanelli, « l'eau philosophale » et l'une des phases du processus du Grand-Œuvre, ce qui est pour le moins singulier, si l'on songe que ce sont les Bénédictins du couvent de Saint-Martin qui sont à l'origine de l'érection de ce monument.

Dès l'époque gauloise, l'emplacement du futur prieuré de Saint-Martin-des-Champs constituait avec ceux où se dressent à présent l'Église Saint-Gervais et la Tour Saint-Jacques l'un des trois monticules émergeant d'une zone marécageuse qui s'étendait sur la rive nord de la Seine et qui furent assurément les premiers lieux habités par des populations locales soucieuses d'échapper aux inondations.

En fait, tout porterait à croire que ces trois lieux avaient été reliés entre eux par les caprices de la géographie physique et humaine, avant même que d'entretenir les correspondances secrètes que nous y avons décelées.

Les vestiges restants de l'ancienne abbaye sont la Chapelle, mais surtout le Réfectoire, véritable chef d'œuvre de l'art gothique où a été installée la bibliothèque du Conservatoire des Arts et Métiers et que sept colonnettes  aériennes divisent en deux nefs.

Est c'est dans ces locaux que se place la première scène du roman de Umberto Eco, Le pendule de Foucault, lorsque son personnage principal, Casaubon, se rend au Conservatoire d'Arts et Métiers pour s'y cacher et passer la nuit. C'est là qu'il découvre le pendule de Foucault dont la signification l'intrigue et qui fait le titre du roman. 

La sphère, mobile à l'extrémité d'un long fil fixé à la voûte du chœur, décrivait ses amples oscillations avec une isochrone majesté.
[...] Je savais bien que la terre tournait, et moi avec elle, et Saint-Martin-des-Champs et tout Paris avec moi, et qu'ensemble nous tournions sous le Pendule qui, en réalité, ne changeait jamais la direction de son propre plan, parce que là-haut, d'où il pendait, et le long de l'infini prolongement idéal du fil, en haut vers les plus lointaines galaxies, se trouvait, figé pour l'Éternité, le Point Immobile. [...] Le Pendule me disait que, tout se mouvant, [...] un seul point demeurait, pivot, cheville, crochet idéal, permettant à l'univers de se mouvoir autour de soi. [...]
[...]Je tressaillis en entendant un dialogue, précis et nonchalant, entre un garçon avec des lunettes et une fille qui malheureusement n'en portait pas.
« C'est le pendule de Foucault, disait le garçon. Première expérience dans une cave en 1851, ensuite à l'Observatoire, et puis sous la coupole du Panthéon, avec un fil de soixante-sept mètres et une sphère de vingt-huit kilos. Enfin, depuis 1855 il est ici, en format réduit, et il pend par ce trou, au milieu de la voûte d'arête.
- Et qu'est-ce qu'il fait, il pendouille et c'est tout?
- Il démontre la rotation de la terre. Comme le point de suspension reste immobile...

Umberto Eco, Le pendule de Foucault, Édition Grasset, 1990, pp. 11-14

Ici les  numérologues trouveront de quoi alimenter leur passion : en effet les sept colonnettes qui possèdent cette propriété remarquable d'aller en s'affinant jusqu'à se fondre avec les aériennes ogives des voûtes, peuvent évoquer les sept dons de l'Esprit Saint aussi bien que les sept métaux fondamentaux reconnus par les alchimistes.

En ressortant de l'édifice, nous reprendrons notre route dans la rue Saint-Martin et traverserons la rue Turbigo. 

L'énigmatique Fulcanelli et la langue argotique

 Fulcanelli au début de son célèbre ouvrage "Le mystère des cathédrales" (1926), donne des mots « argot » et « argotique » une acception absolument inattendue et fort surprenante pour les lecteurs des célèbres aventure de San Antonio que nous sommes tous.

Il prétend en effet, contrairement à ce qu'on pourrait penser, que la catégorie  esthétique du « gothique » dont on a usé et abusé au cours des siècles, serait en fait une dérivation linguistique du mot « art got » et pas le contraire. Ce qui fait que ce langage qui nous apparaît aujourd'hui si pittoresque et délicieusement « canaille » serait en fait une sorte de code initiatique à travers lequel, depuis le Moyen Age, les initiés s'échangeraient entre eux les secrets les plus enfouis d'une science archaïque et surpuissante. Mais écoutons-le :

Pour nous, art gothique n'est qu'une déformation orthographique du mot argotique, dont l'homophonie est parfaite, conformément à la loi phonétique qui régit, dans toutes les langues et sans tenir compte de l'orthographe, la cabale traditionnelle. La cathédrale est une œuvre d'art goth ou d'argot. Or, les dictionnaires définissent l'argot comme étant – un langage particulier à tous les individus qui ont intérêt à se communiquer leurs pensées sans être compris de ceux qui les entourent -. C'est donc bien une cabale parlée. Les argotiers, ceux qui utilisent ce langage, sont descendants hermétiques des argo-nautes, lesquels montaient le navire Argo, parlaient la langue argotique , - notre langue verte, - en voguant vers les rives fortunées de Colchos pour conquérir la fameuse Toison d'Or. On dit encore aujourd'hui d'un homme très intelligent, mais aussi très rusé : il sait tout, il entend l'argot. Tous les initiés s'exprimaient en argot, aussi bien les truands de la Cour des Miracles, - le poète Villon à leur tête, - que les Frimasons, ou francs-maçons du moyen âge –logeurs du bon Dieu -, qui édifièrent les chefs-d'œuvre argotiques que nous admirons aujourd'hui. Eux-mêmes, ces nautes  constructeurs, connaissent la route du Jardin des Hespérides