La Coupole
1550 bouteilles n’ont pas suffit à étancher la soif des 2500 personnes invitées à l’occasion de son ouverture, rapporte une anecdote qui circule sur la Coupole depuis le 20 décembre 1927. André Salomon témoigne de cet événement : « Lorsque la Coupole fut ouverte, c’est alors que s’enfla la vague montante de la mer parisienne. De jour en jour, de soir, et presque d’heure en heure, s’affirmait ce succès qui serait fatal au Montparnasse que nous pûmes chérir ».
Situé dans le quartier de Montparnasse, cette brasserie représenta un haut-lieu parisien de l’entre-deux guerre. Crée par Ernest Fraux et René Lafon, avec la volonté de prendre la place du Dôme (qui avait été tenu par Ernest Fraux pendant trois ans), la Coupole s’impose rapidement à la jet-set du quartier et devient l’un des lieux mémorables des années folles. Fraux et Lafon, deux demi-frères, ont racheté un ancien dépôt de bois et de charbon qui mesure environs 1000 m2 sur le boulevard Montparnasse, un hangar immense entièrement à restaurer, et c’est ici qu’ils vont fonder leur nouvelle brasserie.
Caractérisée par un dancing au sous-sol qui ouvre le 24 décembre 1928, la Coupole a l’ambition d’être un endroit d’exception du point de vue de sa décoration. On appelle les meilleurs architectes de l’époque, Barillet et Lebouc, tandis que Solvet père et fils s’occupent du design. L’espace est composé d’une seule salle, vaste comme le hall d’une gare, supportée par 33 piliers symétriques.
La Coupole est décorée par 27 peintures d’Alexandre Auffray, d’Isaac Grunewald, de Louis Latapie, de Jeanne Rij-Rousseau, et David Seifert, choisies par un comité de sélection composé de Charles Dufresne, le critique d’art Florent Fels et le poète André Salmon. Victor Robiquet a peint le portrait de la danseuse Joséphine Baker, toute entourée de plumes d’autruche, tandis que Marie Wassilief a composé celui de l’écrivain Georges Duhamel, en train de jouer de la flûte. On raconte que tous ceux qui avaient collaboré à la décoration de la Coupole avaient été payés en boissons, bien qu’une facture aïe été retrouvée en 1993, révélant que le prix global de l’intervention s’était élevé à un montant de 23 000 francs.
L’établissement a accueilli, depuis son ouverture, l’élite intellectuelle parisienne de l’époque, avec Jean Cocteau, Joséphine Baker, Man Ray, Georges Braque, Brassaï, Picasso, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Sonia Delaunay, André Malraux, Jacques Prévert, Marc Chagall, Édith Piaf, Ernest Hemingway, Marlène Dietrich, ou encore Ava Gardner.
« C’est là qu’il a commencé sa nouvelle manière réaliste, à la Renoir », écrit Jakovsky à propos de Giorgio De Chirico. Il y a aussi André Breton, Curzio Malaparte, René Crevel, Robert Desnos, Max Jacob et Salvador Dalí.
C’est toujours ici que Louis Aragon fit la rencontre Maïakovski, comme il le raconte à Jean-Marie Drot, à la veille de sa rencontre avec Elsa : « Au mois de novembre, le 5 novembre 1928 très précisément, passant par la Coupole, j’ai été interpellé par des amis qui, me désignant un homme de haute taille se trouvant avec eux, m’ont dit : " Le grand poète Vladimir Maïakovski voudrait vous connaître ". Je me suis approché et, ce jour-là, j’ai fait la connaissance de Maïakovski, avec lequel je parlais comme je pouvais, n’ayant pas à cette époque de langue commune avec lui. Par hasard, le lendemain, toujours à la Coupole, j’avais rendez-vous avec mon ami Roland Tual, lequel appartenait à un groupe para-montparnassien où se retrouvaient Antonin Artaud, André Masson, Michel Leiris et, un peu plus tard, Joan Miró : la bande de la rue Blomet… Roland Tual voulait me faire connaître une jeune femme. J’ai donc rencontré Elsa, le 6 novembre, à six heures du soir, au bar de la Coupole… ».
Il y a aussi quelques américains autour d’Ezra Pound, comme Robert Mac Almon et Eugène Jolas. Puis Henry Miller et Anaïs Nin, avec Francis Scott Fitzgerald, George Gershwin et Alexander Calder.
En 1985, une nouvelle rénovation s’impose et c’est toujours aux artistes qu’est confiée la tâche de décorer le lieu. Des créateurs assemblés autour du mouvement Figuration libre se réunissent dans l’établissement. Le galeriste Pierre Maraval, propriétaire de la galerie Beau Lézard, organise un concours entre 25 peintres, dont Robert Combas, Charles Cartwright, Hervé Di Rosa, Keith Haring, Ricardo Mosner, afin de trouver l’artiste qui va remplacer la peinture d’un des piliers qui a été endommagé par une infiltration d’eau, et c’est l’œuvre de Ricardo Mosner qui l’emporte.
Peu de temps après, un autre pilastre, le trente-troisième, est ajouté en 1988, et prend la place de l’ancien escalier qui menait à la Pergola. Peint par Michel Bourbon, il représente les Foujita, le modèle des garçonnes des années 1920, Kiki de Montparnasse, ainsi qu’Ernest Hemingway, considéré comme l’un des fondateurs du mythe de la Coupole. Bourbon est aussi l’auteur de la sculpture qui a pour titre fascinant de « La rencontre impossible entre le jour et la nuit », et qui se trouve sur le bar.
|= Image |= Description
Kiki de Montparnasse avec Foujita à la Coupole |
Kiki de Montparnasse avec Foujita à la Coupole |
Kiki de Montparnasse Photo: Man Ray |
Kiki de Montparnasse dans les années 1920 |
En 1983, la salle du rez-de-chaussée rentre finalement dans la liste des monuments historiques de la ville de Paris. En 1987, la brasserie est rachetée par le groupe Flo, puis, en 1995, devient la propriété du financier belge Albert Frère.