La Révolution et le monastère


Les biens nationaux : L'Abbaye de Saint-Germain va subir le même traitement que la plupart des abbayes et monastères en France à la suite du démantèlement de l'organisation cléricale. Les chapitres, prieuré, couvents furent frappés par les lois révolutionnaires et les vœux perpétuels furent interdits comme attentatoires à la liberté de l'individu. Les biens du clergé sont mis « à la disposition de la Nation » (mai 1790). Devenues biens nationaux, les abbayes et monastères qui se trouvaient dans les villes ont constitués de vastes réserves foncières pour lotir de nouveaux quartiers, ouvrir des places et percer de nouvelles rues. L'abbaye de Saint-Germain des Près ne va pas échapper à la règle et son Eglise fut sauvée de justesse. Avec des effectifs qui sont allés jusqu'à 120 moines, cette abbaye constituait un des plus grands établissements monastiques du Moyen-âge. 

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"L'Abbaye de Saint Germain".

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"L'Eglise de Saint Germain".

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"Plan de l'Eglise Saint Germain".

Prenons la rue des Petites Boucheries le long de  l'ancien Palais Abbatial. A travers les vitrines vous apercevez la rue de l'Echaudé. Cette rue se terminait en cul-de-sac et ne fut ouverte sur le carrefour Mabillon que pendant  la Révolution en 1790 (c'est dans cette rue que se trouvait  jusqu'au XVIIème siècle la porte principale de l'enclos). Contournez le Palais Abbatial, vous êtes dans la rue de l'Abbaye.

La destruction : C'est là que se trouvait le cœur de l'abbaye, c'est-à-dire l'ensemble des bâtiments conventuels : dortoir, réfectoire, cloître, chapelle, bibliothèque, scriptorium, chapitre, parloir. A l'époque l'abbatiale présente trois clochers surmontés d'une flèche et la chapelle de la Vierge, par sa beauté, est comparable à la Sainte-Chapelle. Ils ne résisteront pas au traitement que lui fera subir la tourmente révolutionnaire. L'enclos de l'Abbaye fut confisqué en 1790 et remis à la Municipalité, l'Eglise fut convertie en dépôt de salpêtre et en raffinerie. En août 1794, 15 tonnes de poudre entassés dans le réfectoire explosèrent, détruisant une bonne partie du site ; ce fut la fin de l'abbaye. Les bâtiments peu à peu allaient disparaître pour donner naissance à un nouveau quartier. La prestigieuse bibliothèque brûla. Les manuscrits, livres et documents  furent sauvés en grande partie mais la splendide chapelle de la Vierge du XIIIème siècle, fut sérieusement endommagée, ébranlée et dévastée. Menaçant ruine, ce qu'il en restait fut démoli en 1802 et l'on perça la rue de l'Abbaye. Son emplacement était au n° 6 bis, vous en verrez quelques restes en entrant dans le magasin qui s'y trouve. Au niveau de l'entrée latérale de l'église se trouvait le dortoir perpendiculaire à l'axe de la rue, il fallut le démolir ainsi que le Petit et le Grand Cloître pour percer la rue. Vous pouvez apercevoir l'emplacement du bâtiment oriental du grand Cloître au n°10 et 11. Le réfectoire du XIIIème siècle où se produisit l'explosion, se trouvait dans l'axe de la chapelle, on peut en voir des vestiges au n° 12, 14, 16. La cour intérieure de l'abbaye et les anciens jardins furent ouverts par le passage de la rue Bonaparte permettant de faire la jonction de la rue Jacob à l'ancienne rue Childebert absorbée par le Boulevard Saint-Germain. Plus tard, en 1804, on réalisera la jonction des rues de l'Abbaye et Bonaparte. De là, émergeant au dessus des toits de la place, on peut apercevoir une tour qui encadrait la Porte Papale, porte occidentale du monastère. Ceci nous rappelle que les puissants abbés de Saint-Germain dépendaient directement du Pape et non du Roi. Le premier coup touchant la puissance et les finances de l'abbaye  fut porté  par Louis XIV qui réduisit le pouvoir quasi-souverain de l'Abbé à l'enclos de l'Abbaye.  Le deuxième coup fatal sera la tourmente révolutionnaire qui viendra balayer les derniers vestiges de cette puissance féodale et transformera ce monastère en un quartier comme un autre.

Place Saint-Germain : Le lotissement de l'enclos et plus tard le percement du Boulevard Saint-Germain nous font oublier que nous sommes ici à l'intérieure de l'abbaye et que cette charmante Place Saint-Germain où nous sommes, fut taillée dans la cour intérieure du monastère. L'utilisation de l'église malmenée pendant la révolution l'ébranla. Elle menaçait ruine et fut de justesse sauvée et restaurée à partir de 1813 . Les révolutionnaires n'auront finalement pas réussi à faire totalement table rase de cette abbaye, témoignage de pouvoirs féodaux et cléricaux de l'ancien régime ; ce qui nous permet encore aujourd'hui de saisir la splendeur d'une des plus grandes abbayes bénédictines de notre histoire. 

Conclusion

Ces années terribles et sanglantes de la Révolution étaient-elles un mal nécessaire ? Robespierre le prétend lorsqu'il justifiait le despotisme révolutionnaire par la nécessité d'assurer l'avènement de la démocratie. « Pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la révolution ». « Les Français, ajoutait Robespierre, sont le premier Peuple du monde qui ait établi la véritable démocratie en appelant tous les hommes à l'égalité et à la plénitude des droits du citoyen ».  Pour lui « la vertu n'est autre chose que l'amour de la Patrie et de ses lois » et elle ne pouvait être imposée que par la terreur.

Aussi longtemps que la Révolution était menacée de l'intérieur et de l'extérieur, la dictature trouvait une justification : la "Dictature jusqu'à la paix" ;  mais dès 1794,  la France révolutionnaire n'était plus en danger, elle avait réussi à faire reculer les "ennemis de l'extérieur" par la guerre et les "ennemis de l'intérieur" par la Terreur et la guillotine. Danton pensait que la dictature n'était plus justifiée et que la sagesse révolutionnaire devait mettre un terme à cette Grande Terreur pour établir le gouvernement constitutionnel prévu à l'origine .

Ce fut là le dernier combat de titans entre les amis d'autrefois, Danton et Robespierre ; Danton, taxé d'Indulgents fut guillotiné le 5 avril 1794 ; Robespierre voulut continuer à exercer ce terrorisme d'Etat pour établir la "vertu" républicaine qu'il érigea au rang de culte dans une mystique révolutionnaire quasi religieuse. Accusé de tyrannie par une Convention libérée de la menace des Sans-Culottes depuis l'élimination des Hébertistes en mars 1794, personne ne le défendit,  il fut guillotiné à son tour le 28 juillet 1794. Alors prit fin cette extrême révolution, ce totalitarisme de l'égalité et de la vertu, qui voulut s'imposer par la terreur de 1792 à 1794. 

Les piliers de l'Ancien régime en furent définitivement ébranlés et disparurent dans la tourmente. Le premier ordre, le Clergé, fut le plus touché et ses  bâtiments furent endommagés ou disparurent: c'était le prix à payer pour la naissance de ce Monde nouveau  qui passait par la table rase des vestiges de l'ancien Monde. Nous venons de le voir, des trésors d'architecture disparurent comme les bâtiments conventuels de l'Abbaye de Saint-Germain, l'église et le cloître du couvent des Cordeliers, le Grand couvent des Jacobins, l'Eglise Saint-Côme-Saint-Damien, l'Eglise Saint-André des Arts, autant de bâtiments médiévaux qui,  pour les révolutionnaires, représentaient l'obscurantisme. La physionomie de ces quartiers s'en trouva profondément bouleversée, des perspectives ont été dégagées et des quartiers ont été ouverts et aérés à l'image de ce Monde Nouveau qui est né dans les douleurs de l'enfantement. Les Philosophes du XVIIIème siècle dont s'inspira Robespierre, Montesquieu avec "L'Esprit de Lois" et Rousseau avec "Le Contrat Social" n'avaient sûrement pas imaginer que ces années sanglantes et ces destructions allaient être un passage obligé pour établir l'homme nouveau qu'ils appelaient de leurs vœux, pour briser les contraintes et affranchir l'individu, pour mettre en œuvre  ce néo-humanisme où la Nation devenait souveraine.

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Maurice Quentin de la Tour, "Jean-Jacques Rousseau", 1753.

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"Maximilien Robespierre", Paris, Musée Carnavalet, 1790.

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"La Mort de Robespierre", Paris, Bibliothèque nationale de France, 1799.

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